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T’es musicien ? Bah, joue pour le plaisir parce que des tunes, t’en auras pas beaucoup.

Novelists, Amenra, Channel Zero, Concealed Reality, Down To Insanity et aussi DJ Puke, La Zone, le Durbuy Rock Festival, le Magasin 4 et la FWB témoignent.


Vendredi 18 août 2017

« Ce n'est pas avec des tickets boissons et 100 balles de défraiement que l'on avance quand on doit financer une production d'album et investir des milliers d'euros dans son projet », disait un musicien dans un précédent article. Vous avez été plusieurs à réagir à ce commentaire et à trouver que c’était « déjà pas si mal ».
Pourtant, je trouve que c’est pas grand-chose quand même…
C’est (malheureusement) pas nouveau, être un artiste, quel que soit le domaine d’ailleurs, n’est pas tous les jours facile. Beaucoup d’investissement pour un retour qui peut ne jamais pointer le bout de son nez.
Est-ce utopique de vouloir vivre de son art ? Le sort de la majorité des musiciens est-il de jouer pour que dalle ou presque ? Sont-ils condamnés à vivre d’amour et d’eau fraiche ou de passion et de bière? A sortir des euros de leurs poches pour pouvoir jouer sur scène, produire un album et partir en tournée?



Un doordeal, ça t’intéresse ?

« Dans une logique ou un groupe se produit de manière professionnelle et obtient par son travail une certaine qualité musicale et scénique, explique James Barbosa, le chanteur de Concealed Reality
Concealed Reality


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, le minimum serait au moins d’avoir un dédommagement pour le déplacement en fonction du nombre de voitures et du matériel apporté. Ajoutons à cela un cachet pour la prestation scénique, cela serait le top deal. » James confie qu’il est très rare que ce minimum soit atteint et que les membres de son groupe payent pour jouer la plupart du temps. Mais l'optique de Concealed Reality
Concealed Reality


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n'est pas de s'en mettre plein les poches mais bien de jouer pour développer sa fanbase.
James pense aussi qu’un groupe de musique est une petite entreprise qui, pour rester sur ses pieds, doit tourner et faire un minimum de rentrées. « Par exemple, quand on te propose d’être opener sur une première partie de Parkway Drive
Parkway Drive


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à 3.000 voire 8.000€ la date, c’est un peu de l’abus ! Qui irait payer une telle somme? De toute façon, personne ne vient pour les openers. »


Chez Down To Insanity
Down To Insanity


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, Sébastien Baquet, le chanteur, me dit qu’il faut aussi savoir sélectionner ses dates judicieusement même si ça veut dire jouer moins souvent. « Généralement, dit-il, pour un concert, on demande 150€ plus des boissons et le catering. C’est négociable bien sûr. Cet argent, on le réinjecte dans la caisse commune du groupe pour commander du merch, enregistrer un EP, etc. Ce montant rebute parfois certains organisateurs qui nous proposent 30 ou 40€ mais on pense que la qualité a un prix. On travaille très dur pour sortir des chansons originales, proposer un show de qualité et même si ça ne nous fait pas toujours plaisir de refuser une date, il faut rester fidèle à sa manière de penser. »
Dans les faits, les organisateurs proposent souvent aux musiciens d’être payés aux entrées. Un door-deal, comme on dit. Down To Insanity
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n’accepte plus ce type d’offre. A certains concerts, le groupe était payé moins de 20€. « Jouer dans un bar à 50 km de chez nous avec des groupes avec qui on a déjà joué plus de 10 fois et pour 30€, ça ne nous intéresse pas et dans ce cas-là, on tente toujours de négocier », poursuit Sébastien.

Pareil pour Nicolas Delestrade, bassiste de Novelists
Novelists


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qui m’explique que globalement les cachets sont proportionnels au nombre de tickets que l’organisateur estime vendre. « On a eu la chance d'avoir de l'argent de côté au début du groupe, du coup ça a été utile pour avancer les frais, poursuit-il. Ca l'est toujours. Mais tout ça est vite remboursé par le label dès qu'on leur livre les albums. Je comprends que ça puisse être un problème pour des groupes plus jeunes sans ressource. Dans notre cas on a tout récupéré mais c'était un risque qu'on connaissait et on était convaincu dès le départ qu'il fallait le prendre. »
Les musiciens de Novelists
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vont partir en tournée européenne en octobre et novembre prochains et ils ne vont rien débourser de leur poche pour la bouffe, le logement, etc. Nicolas ajoute que les membres du groupe ne vivent pas de leur musique et que ce n'est d’ailleurs pas un but à proprement parler. Si ça arrive tant mieux tout en étant conscient que ça arrive à très peu de monde.
Justement, Nicolas, comment passe-t-on à un stade supérieur où la rémunération et les conditions sont ''plus confortables'' avec des tournées, etc. ? « Vendre des CDs, ramener du monde aux concerts. C'est la seule vraie réponse! », dit-il.



Pas mieux du côté des orgas

Pour Mathieu de La Zone à Liège, si un groupe veut arriver à un stade où il peut se payer ses albums et le studio, il est impératif de passer par une rétribution proche de 0€. « C'est comme cela que tu crées des contacts, fanbase, etc., dit-il. Un des meilleurs exemples c’est Cocaine Piss
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. Le groupe a commencé en jouant partout toutes les semaines pour 20€/50€. Deux ans plus tard, il est au Pukkelpop, Dour, Lokerse Feesten. »
Cependant, Mathieu est conscient que la plupart des groupes ont du mal à s’exporter. Il pense qu’une des principales raisons est que quand ces musiciens jouent à domicile, dans leur fief, ils sont considérés comme des rois mais devant un public extérieur, les choses sont différentes. Certains se retrouvent alors à jouer uniquement « chez eux » car ils savent que le public sera présent et qu'ils auront un cachet correct.
« La vie d'artiste est dure mais celle d’organisateur est pire encore, poursuit Mathieu. Il y a les cachets des groupes à payer, la location de la salle, le catering, la Sabam, l’hôtel, etc. La Zone est subsidiée mais pas pour les concerts. On les organise sur fonds propres et sur plus ou moins 40 concerts organisés par an, on perd de l'argent sur 38. Parce que les bons groupes coûtent de plus en plus cher et le prix des entrées, surtout à La Zone, ne bouge pas avec le temps.»

Autre exemple au Durbuy Rock Festival où les groupes gagnants des tremplins sont défrayés par un forfait convenu à l’avance de 200€ plus d’éventuels subsides. « Par contre, précise Caroline Pastorello, Présidente de l’ASBL DRF, les têtes d’affiche demandent parfois 40, 50 ou 60 fois plus. C’est la loi de l’offre et de la demande. Je trouve que beaucoup de groupes exagèrent, notamment en terme de rider. Au DRF, on reste un petit festival, on fait ce qu’on peut avec les petits moyens qu’on a, notamment au niveau des loges qui sont très sommaires, mais on ne lésine pas sur la qualité de l’accueil et les demandes en catering des têtes d’affiche, d’où pas mal de gaspillage à la fin... Mais ça fait partie du contrat avec les groupes et de la réputation d’un festival. »

Ben du Magasin 4 fait remarquer que, exception faite des gros évènements qui fonctionnent, l'économie de la musique alternative est un modèle complètement à l'opposé de la société actuelle. Il précise que les organisateurs et les groupes perdent de l'argent et que l’offre est beaucoup plus élevée que la demande du public.
Au Magasin 4, une première partie est payée entre 100 et 150€ plus catering et boissons. « C'est peu, reconnaît Ben, mais c'est en rapport au public attendu. Pour rentrer dans les frais avec un cachet aussi bas, il faut déjà 15-20 entrées à 10€ car il faut compter, en plus des cachets, les frais d'organisation. Souvent ces groupes qui jouent en première partie n'attirent pas ce peu de monde là. S'il y a plus de monde, il y a plus d'argent à redistribuer entre les groupes. »
Pour les groupes en tournée ou en tête d'affiche, là, c’est des négociations avec des agents.

La Flandre, un eldorado?



J’entends souvent dire que les musiciens sont mieux payés en Flandre qu’en Wallonie et que c’est plus facile de jouer de l’autre côté de la frontière linguistique. J’ai demandé à Puke Bynens ce qu’il en pensait. Plus connu sous le nom « DJ Puke », il anime les fins de concerts metal (notamment au Graspop) et s’occupait du Metalzone à Vosselaar. Pour lui, oui, c’est plus facile d’être musicien en Flandre car la scène underground et alternative lui semble plus développée qu’en Wallonie. Et aussi parce que la possibilité pour un groupe de se faire une place sur cette scène est plus grande. Grâce à la variété de lieux de concert. Puke poursuit : « Il n’y a pas suffisamment de coopération entre la Flandre et la Wallonie, au niveau musical, je parle. Je reçois rarement des notifications ou des invitations pour des shows en Wallonie. Cela me donne l’impression, c’est du moins mon expérience personnelle, qu’il n’y a pas beaucoup de concerts dans la partie francophone du pays. »

« Je pense qu’aujourd’hui les groupes sont gâtés, lance Colin van Eeckhout d’Amenra
Amenra


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et CHVE
CHVE


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. À nos débuts, nous avions l’habitude d’aller jouer au Havre avec trois voitures pour 250 francs belges, c’est 5,5€ ! La passion nous motivait. » Depuis, Amenra, qui vient de terminer plusieurs dates aux Etats-Unis et au Canada, est passé à un niveau supérieur même si Colin me confie que le groupe reçoit un cachet moins important qu’un groupe américain qui attire pourtant autant de public. « En résumé, poursuit-il, le plus de monde tu attires, le plus d’argent tu gagnes. C’est aussi simple que ça. »

Franky de Channel Zero
Channel Zero


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n’est pas certain qu’il y ait une inégalité au niveau de la rémunération des prestations des groupes entre la Wallonie et la Flandre. La différence se situerait, selon lui, au niveau des opportunités. Il y a plus de concerts et de festivals en Flandre. Il me confie que l’important est plutôt de savoir comment tu veux faire évoluer ton groupe et ta carrière.
« Une fois que tu as atteint un certain niveau et que le nom de ton groupe se développe, dit-il, tu dois aussi doser tes performances, en particulier dans un petit pays comme la Belgique, pour ne pas lasser le public. Si tu as le luxe de pouvoir remplir un hall de 1.000 personnes, tu peux gagner de l’argent. Mais comment vis-tu, alors ? Sans exagérer parce qu’il n’y a jamais de certitude sur tes rentrées d’argent et si tu commences à dépenser comme un fou, tu peux te casser la figure. Je peux dire que nous vivons de notre musique mais nous ne sommes pas du tout riches ou quoi que ce soit. Nous avons un bon manageur, c’est aussi un élément important. »
Franky ajoute qu’il y a beaucoup de facteurs qui rentrent en compte pour qu’une carrière soit réussie. Travailler dur et avoir un peu de chance en font aussi partie. Il précise également que pour la plupart des musiciens, la vie est remplie de choix et reste difficile au niveau financier.



Diane Dernouchamps qui gère le Programme Rock à la Fédération Wallonie Bruxelles confirme que le réseau musical belge est compliqué. « En FWB, explique-t-elle, peu de groupes arrivent à vivre décemment de leur musique. Le réseau de diffusion est petit et le tour des salles est relativement vite fait, d’autant plus pour les groupes alternatifs. C’est pourquoi les groupes visent souvent les pays limitrophes : France, Allemagne, etc. »
Evidemment, pour qu’un groupe décolle, il faut aussi qu’il soit bien encadré par un manageur, un label, un bookeur, un attaché de presse, etc. qui vont l’aider à faire des choix judicieux en termes de communication, promotion et de stratégie de développement.
Diane souligne aussi que l’idéal serait que les différents acteurs du milieu (programmateurs de salles/festivals, journalistes, presse écrite, radio, pouvoirs publics, etc.) travaillent ensemble afin de créer une émulation autour des mêmes artistes pour leur donner une visibilité plus importante.
« Ca tend à arriver de plus en plus, ajoute Diane, mais les artistes de la scène alternative seront de nouveau peut-être moins la cible de ce genre d’opération. Cependant, il existe un réseau de salles, de festivals, de médias, etc. pour les groupes alternatifs et un public fidèle. On peut, pour certains, parler de reconnaissance et de crédibilité, mais vivent-ils pour autant décemment de leur musique, ça c’est moins sûr. »

Après tous ces échanges, je me dis que c’est peut-être le fait d’évoluer dans la sphère alternative, en dehors des systèmes et des codes musicaux traditionnels, qui veut ça. Ca a quand même l’air plus facile quand on passe par The Voice ou quand on a un look propret avec un style de musique « bien comme il faut » et « bien comme ceux qui ont du pognon veulent ».
Plusieurs personnes rencontrées m’ont expliqué qu’une autre clef de compréhension du sujet se trouve au niveau de l’offre et de la demande. Trop de groupes. Pas assez de public.
Pour rebondir sur les propos de Diane, peut-on en déduire que nous, les fans de musique, chroniqueurs, journalistes, organisateurs, manageurs, labels, etc., avons aussi un rôle à jouer dans ce système ? Qu’en pensez-vous ?
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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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