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Lieux de concerts alternatifs : pourquoi ça part souvent en couille ?

Vendredi 30 novembre 2018

On entend régulièrement parler de la fermeture ou du déménagement des lieux de concerts (salles, cafés, etc.) qui proposent de la musique alternative et underground. Surtout à propos de petites structures. C’est justement celles-là qu’on aime bien, nous, chez Shoot Me Again. Alors, on va en parler.
Le Magasin 4, le Recyclart et le DNA à Bruxelles, la Péniche, le Carlo Levi, la Zone, la Planète interdite et le Factory à Liège, l’Alhambra à Mons, le Coliseum à Charleroi, le Magick, le pub Factory et le Phénix à Namur, le Lintfabriek à Kontich, le Frontline à Gand, le Riders Park à Messancy, de Rots et le Pan Demonium à Anvers et j’en passe. La liste est longue.



Dernièrement, c’est le Cercle à Chapelle-lez-Herlaimont, qui, suite à des plaintes du voisinage, a dû mettre la clé sous le paillasson. Vous avez sans doute vu passer la pétition qui a récolté, à ce jour, 853 signatures.
« On est mort épuisé, explique Bart, nos poches sont vides et on est dégoûté que trois voisins qui se plaignent puissent mettre le travail d'un an à l'eau en deux semaines à peine. En treize mois, on a fait venir deux cent artistes de treize pays différents pour un total de sept mille visiteurs. On a rencontré des artistes géniaux qui ont joué devant des salles pleines ou vides. Cemican
Cemican


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a vraiment été exceptionnel au niveau visuel, Jinjer
Jinjer


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a fait le plein de la salle, recevoir Blaze Bayley
Blaze Bayley


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a été un honneur. »
Quand je demande à Bart ce qui a manqué pour que le Cercle ne ferme pas ses portes, il me répond : « des voisins compréhensifs, des journées de cinquante heures, un portefeuille sans fond et un public motivé. »
Il poursuit en me disant que, dans les années nonante, on mettait une affiche pour attirer cent personnes et qu’aujourd'hui, il faut passer cent heures de promo pour attirer une personne. « Les groupes locaux ne ramènent plus personne, ajoute Bart, les groupes professionnels demandent cinq fois plus parce qu'ils ne vendent plus de disques et ramènent cinq fois moins. La solution est dans les mains du public. Il n’y a pas que les gros festivals. Il faut soutenir la scène émergente avant qu'elle ne meure et que la relève ne soit plus assurée. »

« Tu ne peux compter sur personne »

Kamil était l'un des associés du DNA (fermé en 2014). Il est tout à fait d’accord avec Bart et se rappelle d’un problème récurrent qu’il rencontrait au DNA. « Je me souviens d'un concert où il y avait environ cent trente personnes dans la salle, dit-il. En fin de soirée, on s'est retrouvé avec six cents euros dans la caisse. Et c'était très régulier. Les gens vont voir des concerts dans des endroits comme le DNA mais consomme à l'épicerie du coin, ensuite ils râlent car toutes les salles ferment. »
Kamil me confie aussi que c'est très compliqué en Belgique pour les petites salles de concerts alternatifs. Pour lui, c'est un milieu qui n'a souvent pas beaucoup de moyen, qui demande beaucoup d’investissement en temps et dont la clientèle n'est pas forcément fortunée. « Il faut être passionné et très très motivé. J'ai l'impression qu'il y en a de moins en moins, que l'engouement pour ce genre de salle et d'évènements est moins présent qu'auparavant », conclut-il.

Au Factory à Liège (fermé en 2008), Aroun avait aussi l’habitude des visites policières et des plaintes pour nuisances sonores. Il se souvient qu’il avait même adapté les horaires pour ne pas déranger les voisins. A l’époque, la Ville de Liège avait aussi comme projet de racheter tous les bâtiments du quartier. Ça n’aidait pas.
« Quand j’ai repris le Factory, en 2006, avec mon associé qui est parti par la suite, m’explique Aroun, nous voulions redorer le blason de la cité ardente et garder la scène alternative en vie. Mais tu ne peux compter sur personne. J’ai essayé d’avoir des aides de la Communauté française mais vu que nous ne disposions pas de backstage, ce n’était pas possible. D’un point de vue politique à Liège, les fonds culturels vont au Forum et à l’Opéra. Il n’y en a pas pour tout le monde. Les vautours de la Sabam sont toujours dans les alentours.»



Ganjo, le gérant du Riders Park de Messancy (fermé en 2012) était lui aussi dégouté du peu d’aide reçue de la part des brasseries, de la Commune, etc. Il regrette que personne n’ait saisi l’importance des mouvements alternatifs et du lieu d’échange et de sport qu'était le skate park.
Ganjo a aussi partagé son ressenti face à la politique et au système qu’il qualifie de pourri. « En tant qu'indépendant, on ne fait pas le poids face à ce système, dit-il. Un système qui laisse ouvertes les boites de nuits qui diffusent de la musique commerciale et les salles qui sont dans le moule. Un système qui pousse les jeunes vers les sports classiques qui reçoivent toujours des subventions et pour lesquels on construit des salles aux normes pour des millions et des millions. Mais un skate park et des musiques alternatives, pas d’aide. »
Si c’était à refaire? Ganjo me répond par l’affirmative car, malgré tout ça, l’aventure a été magnifique et exceptionnelle. Mais plus en auto gestion! Il s’associerait à une Commune ouverte d’esprit.



Autre fonctionnement à La Péniche à Liège (fermée en 2015) où les caisses étaient alimentées par la tune de Cécile et Mathieu et le soutien de 75 coopérateurs. De ce fait, pas le droit aux aides et subsides généralement attribués aux ASBL. Cependant, en tant que membre du comité de la Fête de la Musique, La Péniche a reçu une aide financière pour l'organisation de cet évènement.
La Péniche a cessé ses activités pour des raisons personnelles et professionnelles. Pour tout vous dire, elle vient d’arriver à Paris avec une nouvelle équipe aux commandes et continuera d’être un cabaret-concert. On a entendu dire qu’une inauguration liégeoise serait organisée avant l'ouverture publique en mars 2019. Cool.
« Ce qui a fait la différence, poursuit Mathieu, c'est l'aspect coopérative avec des coopérateurs et des co-organisateurs (associations, organisateurs, managers, etc.). On a pu tenir notre objectif de départ à savoir quatre ou cinq événements publics par semaine. Nous avons également accepté plusieurs événements privés pour équilibrer le budget dans les moments plus creux ou quand il y avait de gros événements tout près. »

Faut-il se formater ?

Certaines salles sont toujours debout. Dans le genre, parlons du Magasin 4 qui va fêter ses 25 ans en septembre 2019. Vous saviez qu’il a été fondé par des musiciens pour combler le manque d’espace d’expression pour l’underground et l’alternatif ? La suite vous connaissez sans doute avec une fin de bail, une fermeture, une réouverture un peu plus loin, etc. Le prochain épisode annoncé sera un relogement temporaire pendant trois ans avant de s’installer dans un lieu définitif. Ben m’a laissé entendre que le M4 s’intégrerait peut-être dans un complexe reprenant salle de concert, locaux de répétition, studio d’enregistrement, bars, etc. Affaire à suivre.
Le M4 est aidé par la Ville de Bruxelles et reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles via le Club Plasma. Ben, sans subside, ce ne serait pas possible pour le M4? « Si mais on ferait plus de grosses coproductions. Les conditions seraient moins bonnes pour les groupes et le public. Fini de prendre des risques et de faire des concerts découvertes. On pourrait moins programmer de groupes belges francophones émergents en première partie. Je pense que si on veut vivre de la musique, il faut être prêt à passer à du formatage et un paquet d’obligations ennuyeuses. Le mieux pour améliorer la situation serait que les salles soient combles à chaque fois mais est-ce qu’on serait encore alternatif dans ce cas ? »




Autre lieu qui propose des concerts alternatifs : le Belvédère à Namur (qui vient de faire une date sold out avec Pro Pain
Pro Pain


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). Il est soutenu aussi par la Fédération Wallonie-Bruxelles et est géré par 33 associés, tous bénévoles, regroupés dans l’ASBL Panama. En 2009, le Belvédère était en danger suite à une disparition de subside. Il y avait d’ailleurs eu une pétition.
Manuel, un des associés, m’explique qu’organiser des concerts, en tout cas dans une ville de province comme Namur, sans bénéficier d’une large infrastructure (le Belvédère peut accueillir 200 personnes), ne peut pas devenir une activité économique rentable.
« Chaque prestataire veut de l'argent et le public n'est pas disposé à casser sa tirelire, ajoute Manuel. Sauf, paradoxalement, pour des têtes d'affiche où il n'y a, j'ai l'impression, pas de limite rationnelle. Je vois donc un modèle économique pour les bars où le cachet artistique est nul et l'encadrement inexistant, un autre pour les grandes salles dont le prix des tickets ne fait qu'augmenter. Entre les deux, difficile de trouver sa place. On a donc besoin de subsides. »

Et quand on n’a pas de soutien financier, c’est évidemment difficile de tenir la barque d'une salle de concerts alternatifs.
« Il y a quelques semaines, explique Yohann du MCP Apache, mon état d’esprit était assez négatif sur le sujet. J’étais vraiment à deux doigts d’arrêter. Tu dédies beaucoup d’énergie et d’argent pour, au final, avoir plus de musiciens de l’affiche dans la salle que de public. Pourtant, le prix de l’entrée et des boissons est au plus bas. La petite restauration est presque donnée et nous offrons une proximité avec les groupes que les grandes salles ne savent pas offrir. Mais rien n’y fait, de moins en moins de personnes viennent, c’est un fait. Les salles vont fermer une à une tant que les gens ne se bougeront pas.»
Après avoir accusé le coup, plusieurs personnes se sont proposées pour aider Yohann et devenir partenaire. Du coup, il a repris du poil de la bête pour 2019 ! Il est aussi entré dans une autre organisation, le Brutality Over Belgium dont l’équipe comprend maintenant deux Carolos, deux Liégeois et un Flamand. « Le fait de faire tourner des groupes et des packages dans ces trois régions, je trouve ça vraiment cool et génial ! », ajoute encore Yohann.

Trop d’offres

Du côté du public, on se sent concerné, aussi, par la situation des lieux de concerts !
Marie-Julie s’y rend en moyenne deux fois par mois. Le Cercle était d’ailleurs sa salle de référence. Pour le prix démocratique et l'ambiance. « Les petites salles sont chaleureuses et bienveillantes, se réjouit-elle, un réel sentiment d'être à sa place et, en tant que femme, je m'y suis toujours sentie en sécurité. Musicalement, j'ai l'occasion de faire de belles découvertes. Au Cercle, on avait toujours l'opportunité de discuter avec les artistes après les concerts et l'ambiance était très détendue. »

Manu ajoute que, sans ces endroits, la scène se meurt et qu’il n'y a plus d'espace d'expression pour les groupes. Pour lui, fermer les lieux de concert alternatif ne fait que renforcer l'appauvrissement culturel et intellectuel de la population. « De manière générale, ajoute Manu, il y a répression plutôt que recherche de solution. Si l'activité importune, on tire la prise, tandis que les manifestations folkloriques ou grand public bénéficient d'un seuil de tolérance très large. Il n'y a pas de vraie volonté politique de permettre à tous de cohabiter, de laisser un espace d'expression à une frange minoritaire et alternative. »



Naberus n’hésite pas à se remettre en question en se disant : soit je fais quelque chose, soit je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Bien évidemment, personne ne peut se rendre à tous les événements. « Mais si on veut que les groupes continuent à venir dans notre région, poursuit Naberus, il faut de temps en temps sortir le portefeuille et payer son entrée pour soutenir les orgas et les groupes. Si la demande ne suit pas, l'offre disparait. »
Il s’interroge aussi sur l'affluence des salles et propose de structurer l'offre par la concertation. Selon lui, les organisateurs devraient se concerter afin d’éviter d’avoir trois évènements le même jour dans un rayon de cent kilomètres.

Cédric trouve aussi qu’il y a trop de concerts dans le même coin et renchérit. « Je pense que les orgas se font parfois concurrence, dit-il. Les fans ont envie de faire plaisir à tout le monde mais c’est pas possible. Il faut que les gens se bougent et aillent voir des concerts ! Les salles qui sont hors des villes sont défavorisées parce ça emmerde les gens de prendre leur voiture. C’est dommage car il y a de l’énergie. »
Cédric s’interroge et propose que les Communes mettent leur centre culturel ou des endroits appropriés à disposition des orgas, de temps en temps, comme la Guerre des Gaules au centre culturel de Chénée et Chronos à l’Entrepôt. Ou créer des infrastructures en dehors des villes comme des anciens zoning industriels, pour faire la fête avec des cafés, discothèques, salles de concerts tous styles de musique confondus, etc. Il cite l’exemple du Sputnikhalle à Münster.

Une loi pour défendre les lieux bruyants

Chez nous, au niveau des autorités, on n’en est pas encore là. Pour pouvoir prétendre à un subside du service des musiques de la Fédération Wallonie Bruxelles, le lieu doit programmer des artistes reconnus par la FWB. Son rôle est bel et bien le soutien aux artistes issus de Wallonie ou de la Région de Bruxelles-Capitale.
« Il faut aussi que ces lieux paient les artistes, ajoute Magali du cabinet de la ministre de la culture. Si, au contraire, ils leur laissent un pourcentage des entrées, cela signifie que c’est l’artiste qui joue plus ou moins bénévolement et qui prend les risques financiers en cas de salle peu remplie. Tous les lieux ne peuvent pas être soutenus. Chaque année, nous sommes confrontés à de plus en plus de demandes et le budget évolue peu. »
À savoir aussi que, dans l’optique de renforcer le soutien à la diffusion musicale des artistes de la FWB dans les petits lieux de concerts, la ministre a pérennisé le soutien à l’ASBL Court-Circuit.



« Eh bien, justement, me dit David de Court-Circuit, nous avons mis en place un système de soutien ponctuel. C'est le programme « Les Extras » qui intervient dans le cachet de groupes de la FWB dans des petits lieux hors réseaux reconnus (Club Plasma, centres culturels, maisons de jeunes, etc.). Bon, le budget n'est pas énorme mais certains petits lieux non-subventionnés en ont bien profité ces derniers temps. »
David m’informe aussi avoir été interpellé par la loi sur « les agents de change » que plusieurs gouvernements ont adopté. Cela consiste à défendre les lieux « bruyants » existants contre les nouveaux riverains que ça dérange. En gros, une personne qui vient habiter à côté d'un bar, d'un clocher ou d'une école ne peut plus se plaindre du bruit car il vient habiter en connaissance de cause et c'est à lui de faire les travaux d'isolation nécessaire et non plus aux lieux déjà existants. « Notre boulot est d'étendre cela au niveau européen, poursuit David. Au niveau belge, donc régional, il y a pas mal de chose à faire mais. Le problème c'est que les pouvoirs politiques qui ont la culture dans leurs attributions n'ont pas l'environnement et que ceux qui ont l'environnement n'ont pas la santé et ceux qui ont la santé n'ont pas le sport. Du coup, on tourne en rond. »

… mais au moins ça bouge, ça réfléchit, ça discute. Des aides existent mais elles ne conviennent pas à tous les lieux qui proposent de l’alternatif. Justement parce qu’ils sont alternatifs dans leur fonctionnement ou structure.
Peut-être qu’un peu de concertation entre ces différents lieux wallons (voire belges) serait efficace pour mieux organiser l’offre. Peut-être que le public doit plus se bouger pour soutenir la scène locale. Peut-être que, peut-être que…
Ce qui est sûr c’est que chaque personne qui fait vivre ces lieux, de l’intérieur ou de l’extérieur, est sacrément motivée. Condition sine qua non.
Je vous avoue que je suis un peu frustrée de terminer ce papier parce que le sujet me plait beaucoup et qu’il aurait mérité mille et un approfondissements. On en reparlera peut-être plus tard…

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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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