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Trop de vinyles tue-t-il le vinyle ?

Lundi 21 février 2022

Il a la cote depuis longtemps et vient visiblement de franchir un pas supplémentaire.
Marie-Amélie Mastin en parlait dernièrement dans le Journal du Rock sur Classic 21 : « Le vinyle a battu des records de vente en 2021. Pour la première fois en 30 ans, la vente des vinyles a dépassé celle des CDs aux USA. » En parallèle, la crise sanitaire a entrainé des retards dans l’approvisionnement en matières premières et dans les pressages. Ces perturbations pourraient foutre le bordel, non ? Ou s’avérer problématique pour les labels et les artistes qui comptent sur les ventes pour s’en sortir et/ou maintenir la tête hors de l’eau ?
On y regarde d’un peu plus prés.




« Il faut admettre, lance Jean-François Galler du label Meuse Music Records , que pour le quidam, actuellement, il faut vraiment avoir envie d’acheter un album en vinyle pour l’attendre parfois plus de 6 mois et le payer entre 30 et 45€ avec les frais de port. Alors que le CD est disponible à la production dans le mois et est vendu entre 12 et 17€. »
Jean-François m’explique qu’en tant que jeune label liégeois, trouver un presseur qui prend de nouvelles commandes n’est pas facile. Preuve en est, le délai pour recevoir un vinyle, produit fini, tourne autour de 9 mois. Ce qui est bien entendu énorme. « La demande augmente, poursuit-il, les matières premières se font aussi plus rares, les prix augmentent également. Là où il fallait investir 700€ pour presser 200 exemplaires il y a encore 5 ans, il en faut aujourd’hui au minimum 1.200€ sans compter les frais annexes. »
Pour donner un exemple concret, Meuse Music Records a produit 15 artistes sur les 6 derniers mois. La facture est payée à la commande, donc l’investissement de départ est assez conséquent tandis que les rentrées sont nulles. « Si les prix et délais ne se régulent pas, le vinyle sera victime de son succès », conclut Jean-François.

''Cela a changé la façon dont nous travaillons''

Du côté du label Jaune Orange , on constate aussi des retards dans les pressages. « Mais on a trouvé des presseurs indépendants, précise Sébastien Von Landau. On est à 4-5 mois de délai au lieu de 6-8 mois. On n’est pas autant dans la merde que ce qu’on entend. Pour un pressage de 250-300 pièces, on est passé de 1.200€ à 1.900€. En tant que label indépendant et petite structure, on essaye de garder un prix de vente entre 15 et 25€. On n’a pas la force d’une entreprise comme Universal. »
Du coup, Sébastien ajoute que, chez Jaune Orange, tout album peut sortir en vinyle mais que, parfois, il faut expliquer aux groupes que c’est peut-être un peu prématuré par rapport au plan financier. Il vaut mieux d’abord attendre le retour des ventes de la sortie CD. Si c’est un EP de 4 ou 5 chansons ou un premier essai, Sébastien va d’office privilégier une sortie sur CD avant de voir si le label investit plus.

Nele Buys de Consouling Sounds déplore ces retards dans les pressages. « Je me bats avec ces usines depuis plus d’un an maintenant, dit-elle. Cela a changé la façon dont nous travaillons. Un an et demi à l’avance… Mais cela nous fait réfléchir encore plus sur la musique que nous devrions sortir. »
Nele regrette que, suite à cette forte demande, certaines usines de pressage ne se soucient plus de la qualité. Même les gros labels ne font plus de pressage test.
Elle m’explique également que les grandes maisons de disques sont arrivées à la conclusion que la vente de copies physiques est le seul moyen de faire du profit. « Ce qui rend les choses difficiles, dit-elle, pour les petites structures qui utilisaient cette stratégie pour s’armer face au numérique. Maintenant, les labels comme nous doivent trouver de nouveaux moyens. »

Toute la filière est touchée

Discomat, usine de pressage de vinyle en Belgique, est une petite entreprise familiale qui jongle avec les listes d’attente qui sont devenues monnaie courante. « Avant, le délai était de 10 semaines. Il a doublé, maintenant, précise Inge Daniëls. Nous pressions toutes sortes de genres musicaux : house, techno, etc. Maintenant c’est de tout ! Même les classiques comme Edith Piaff sont pressés donc il n’y a plus de limite dans les genres, tout le monde veut sa musique sur vinyle parce que c’est un gardien. »

Antoine Ollivier, co-fondateur de M Com' Musique, usine de pressage en France, ajoute que faire face à cette surcharge de travail n'est pas un problème. Le problème, pour lui, est l’approvisionnement en matière première. « Nous avons beaucoup de mal à nous faire fournir en moule/matrice, depuis mars 2021, ajoute-t-il. Les fournisseurs de produits imprimés tels que les pochettes croulent également sous les demandes. De façon générale, le prix des matières premières est quasiment multiplié par 3, depuis mars 2021. » Antoine me confie que le plus compliqué c'est d'expliquer cette situation, sur laquelle il n’a aucune prise, à ses clients. « Tout le monde est impacté, toute la filière est touchée, de l'artiste au disquaire », conclut-il.

Qu’en pensent les artistes ?

Stefan de Graef de Psychonaut
Psychonaut


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m’explique que, concernant la sortie de « Ferocious Fellowman » (réédition de 2020), c’était tout juste au niveau du respect du délai. « Heureusement, poursuit-il, les gens de Pelagic Records sont très bien organisés et ils ont réussi à nous obtenir une place sur la liste d’attente. Nous avons pressé chacun de nos albums sur vinyle et ils se vendent de plus en plus rapidement chaque année. »



Stefan ajoute qu’un vinyle est ce qui se vend le mieux au niveau du merch. C’est aussi l’article qu’il est amené le plus souvent à signer et il trouve que c’est vraiment reconnaissant d’avoir le droit de mettre sa signature sur ces belles œuvres d’art.

Du côté de The Waltz
The Waltz


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, on vient de sortir « Looking-Glass Self ». Benoit Lafaut, guitariste, se réjouit de cet engouement pour le vinyle. Le label du groupe, Labelman , a commandé les vinyles bien à l’avance et donc aucun problème rencontré pour le sortir. Il ajoute : « Le vinyle est l’élément le plus important d’un groupe. Heureusement, nous avons beaucoup de fans qui sont prêts à mettre le prix. De cette façon, nous, les artistes, pouvons aller plus loin! Les revenus provenant du streaming et d’autres fournisseurs numériques sont beaucoup trop faibles pour qu’un petit groupe puisse tenir. Allez sur vinyles! »

Même constat chez Carnation
Carnation


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. Le vinyle est l’élément central du merch. « Nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour pouvoir sortir notre dernier vinyle « The Galaxy Sessions », dit Simon Duson, chanteur de Carnation. C’était dément ! Un très long retard et les personnes qui l’ont commandé ont dû être très patientes. Nous sommes ravis de pouvoir enfin le présenter. »

Chez Endless Dive
Endless Dive


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, par contre, le vinyle n’a pas un net avantage par rapport aux CD puisque la vente de CD représente une part significative des revenus du merch.
Elie Pauwels, le bassiste, explique que la question du support utilisé varie aussi selon le style de musique et la niche dans laquelle tu te trouves. Avant de se lancer dans une sortie physique, il pense que c’est important d’analyser le marché dans lequel le groupe évolue.
« Après plusieurs mois, ajoute-t-il, nous venons seulement de recevoir le test-press du dernier album « A Brief History Of A Kind Human » et nous croisons les doigts pour recevoir le résultat final pour la sortie au Botanique à Bruxelles. La commande a été effectué alors que l’industrie se réveillait doucement et nous avons probablement été victime de la demande mondiale beaucoup trop importante par rapport à l’offre. »



Idem chez Zäaar
Zäaar


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où « Magická Džungl’a » a fait la file à l'usine de pressage à cause du manque de personnel mis en quarantaine et des pénuries de matières premières.
Pour Zäaar, un groupe fait généralement plus de ventes avec des t-shirts qu'avec un vinyle. « Certains se plantent et d'autres arrivent à écouler leur came, explique HP, il y a une intelligence commerciale à fournir si on veut que cela soit rentable, comme pour tout business. Le marché du vinyle devra muter mais le disque en soi reste difficile à tuer. A moins d'une disparition de matière première, et encore, on pourra toujours recycler du plastique pour en fabriquer, c'est pas ça qui manque. »

Divided
Divided


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sort aussi son prochain EP « Riser » sur vinyle. Une évidence pour le groupe pour qui ce support est pertinent par rapport à leur musique.
« C’est important à bien des égards, poursuit Pepijn Vandaele, chanteur et batteur, mais nous ne nous attendons pas à en tirer beaucoup d’argent. L’achat de disques et de merch est un excellent moyen de soutenir les artistes et, dans notre cas, aidera à financer le prochain disque. Ouais, sortir du vinyle en vaut vraiment la peine. Le vinyle vit! »

J’ai été assez étonnée de découvrir, au fil de mes échanges, que la situation était plus ou moins sous contrôle pour les labels, usines et groupes interrogés. Tout le monde patiente et s’adapte. Tant mieux. Le vinyle est toujours bien, à l’heure actuelle, un incontournable pour tout amateur de musique. Et tant que les fans mettront le prix pour se procurer les précieux sésames, ça ne devrait pas changer.
Et donc, pour répondre à la question que je pose en titre : trop de vinyles ne tue pas le vinyle. La preuve, le vinyle d’occasion explose aussi. « Encore plus depuis ces cinq dernières années, précise Michel Kirby d’Elektrocution record shop. Certains groupes ou titres qui étaient tombés aux oubliettes refont surface et occupent même parfois la place numéro un dans les ventes en seconde main. C'est le vrai retour aux sources, aller vers l'édition originale. »
Pour terminer, je vous laisse lire ci-dessous ce que représente le vinyle pour les personnes qui sont intervenues dans cet article
.


Le vinyle c’est…

Jean-François Galler du label Meuse Music Records : Pour moi un vinyle c’est d’abord un bel objet. Un ensemble de graphisme, de son. Un travail de conception, voire d’originalité, une sorte d’œuvre d’art que l’on aime posséder parfois dans plusieurs déclinaisons.

Nele Buys de Consouling Sounds : Un vinyle est un objet incroyable, quand on y pense. Si on sait comment il est fait, on ne peut qu’en être étonné. C’est certainement un objet qui vient d’une époque où nous étions attentifs à la qualité d’une technique.

Sébastien Von Landau du label Jaune Orange : Un vinyle c’est un produit qui permet de matérialiser la musique et de lui donner vie. C’est un objet nostalgique.

Inge Daniëls de Discomat : Un vinyle est le son d’un sentiment mélancolique qui ne fait pas partie de ce monde médiatique rapide. C’est un son analogique, pas un son fabriqué par ordinateur. Un vrai bijou. En rentrant du travail, le vinyle offre un moment de détente avec de la bonne musique et un verre de vin.

Antoine Ollivier, co-fondateur de M Com' Musique : Un vinyle est une mémoire du patrimoine musical. C'est aussi un des supports qui permet de nous mettre en ''configuration'' d'écoute complète d'un album. On écoute la face du vinyle en entier avant de le retourner.

Stefan de Graef de Psychonaut : Le vinyle permet de donner vie à la musique. C’est un sentiment incroyable d’entendre votre musique pour la première fois sur vinyle. C’est amusant de rendre quelque chose aux fans en offrant des éditions uniques et limitées. C’est presque fou de voir combien de personnes chérissent vraiment ces premiers pressages et se décarcassent pour les trouver.

HP de Zäar : C'est l'objet ultime pour toute personne qui veut obtenir de la musique en format physique.

Pepijn Vandaele de Divided : Le vinyle c’est une sorte de rituel, c’est un processus d’amour et de concentration. Le simple fait de l’enregistrer et de l’écouter jusqu’au bout est une activité qui a beaucoup de sens et de beauté.

Simon Duson de Carnation : J’aime regarder la couverture d’un album, lire les paroles tout en écoutant la musique. Le son d’un vinyle est si caractéristique. Vous ne pouvez pas obtenir ça sur CD et encore moins sur les plates-formes de streaming !

Michel Kirby, Elektrocution record shop : On peut dire que c'est un ''objet'' doté d'un pouvoir, d'une magie, c'est physique un vinyle.

Benoit Lafaut The Waltz : C’est l’une des rares façons de posséder physiquement la musique et d’une belle manière où la musique et l’art visuel se rencontrent.

Elie Pauwels de Endless Dive : C'est la concrétisation matérielle de ton projet. C’est le fait de pouvoir tenir en main, regarder cet objet qui représente beaucoup de travail et d’efforts fournis. C’est aussi le moyen de laisser une trace matérielle et de valoriser ta musique au travers d’un support physique.
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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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