Reportage

Gov't Mule : Le groove en héritage

Bruxelles (Ancienne Belgique), le 05-06-2019

Mercredi 12 juin 2019



Peu de formations musicales peuvent se targuer d’avoir la capacité d’enchaîner soirs après soirs et de mémoire plus de 300 morceaux issus de son propre catalogue ou des reprises d’autres artistes avec une facilité aussi déconcertante que magistrale. Gov’t Mule
Gov’t Mule


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en fait assurément partie et ne s’est d’ailleurs pas privé pour en faire la démonstration dans une Ancienne Belgique toute acquise à sa cause. Les fans savent en effet que les concerts de la bande à Warren Haynes sont considérés comme de vraies expériences sonores où l’improvisation y tient une place de haut rang et dont les setlists sont intégralement retravaillées lors de chaque concert. Un pur jam band qui nous a filé la chair de poule tant par son incroyable spontanéité que par un son aussi limpide que prodigieux. Avec une aisance rythmique saisissante, le power quatuor nous a emportés dans un trip blues rock marqué au fer rouge du rock sudiste prenant des allures jazzy à la technicité inégalable. Beau, tout simplement…


Petite leçon d’Histoire pour commencer... Peu de temps avant son assassinat, le président Abraham Lincoln avait fait une promesse d’indemnisation aux esclaves afro-américains libérés après la guerre de Sécession. Selon une loi, le gouvernement américain s’engageait à leur fournir 40 acres (16 hectares) de terre à cultiver ainsi qu’une mule pour traîner une charrue. Mais le président Johnson qui succéda à Lincoln révoqua purement et simplement cet ordre militaire. La fameuse « mule du gouvernement » est donc une promesse qui ne fut jamais tenue… Cette histoire sera donc le prétexte pour Warren Haynes, guitariste de son état, et le bassiste Allen Woody de fonder un nouveau groupe leur permettant de ne pas rester inactifs entre chaque tournée du Allman Brothers Band qu’ils rejoignent en 1989. C’est donc en 1994 que tout commence pour Gov’t Mule
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. Avec le recrutement du cogneur Matt Abts, leur volonté est simple : partager leur amour pour les power trios des glorieuses sixties tels que Cream ou The Jimi Hendrix Experience et créer un jam band dans la lignée de ce qui se faisait de mieux à l’époque (Grateful Dead, The Allman Brothers Band, etc.) tout en exploitant un modèle préétabli : sortir des conventions musicales en proposant des shows de près de trois heures et en les divisant en deux sets distincts. Un premier set axé sur un rock accrocheur et direct (histoire de mettre les spectateurs dans les meilleures conditions possibles) et un second faisant place à beaucoup plus d’expérimentations, de joyeusetés psychédéliques et explorant de multiples mais excitantes facettes blues, roots, jazz voire même reggae. La disparition d’Allen Woody en 2000 (suite à une overdose) manque de justesse de signifier la fin du groupe qui engage Andy Hess (lequel fera une courte apparition avec The Black Crowes) et se transforme même en quatuor avec l’arrivée du génialissime claviériste Danny Louis. En 2008, Jorgen Carlsson se charge de reprendre la place d’Andy Hess laissée vacante pour enfin composer le line-up le plus durable de l’histoire du groupe. Enchaînant tournées sur tournées, les Américains sont certes loin d’être le band le plus rare du circuit mais leur faculté à s’adapter à leur public et à se réinventer constamment sur scène en proposant des shows diamétralement différents en fait un ‘must see’ inévitable que nous prenons donc au mot en nous rendant à l’AB en cette humide soirée de juin.



Disposée en format Flex (un gradin rajouté portant le nombre de places assises à 430), l’Ancienne Belgique est rapidement plongée dans l’obscurité aux alentours de 19h30 pour l’arrivée du combo et les premières clameurs se font entendre en guise d’accueil bien bruyant. On nous rend instantanément la pareille avec Bad Little Doogie, un bon vieux blues corsé comme il se doit. Déjà, l’orgue de Danny Louis fait des merveilles. Casquette vissée à l’envers sur la tête, ce dernier répond aux accords bien gras que Warren Haynes se charge d’expulser de sa gratte. Et ça ne se calme pas pour la suite et Streamline Woman où Jorgen Carlsson, sorte de Ludwig van Beethoven binoclard, obtient un son groovy à souhait digne de Chris Squire (Yes
Yes


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) grâce à sa basse à l’effigie de Bruce Lee. C’est déjà le moment de ralentir la cadence avec le langoureux Burning Point, premier témoin de l’incroyable liberté que se donne chacun des membres du groupe. Matt Abts, puissant de précision, réussit à insuffler une verve dynamique et sonore. Il caresse ses cymbales avec délicatesse orientant ce morceau blues dans l’âme vers des contrées jazz, bien aidé par ce diable de Danny Louis. Capable de sortir des merveilles dans un style inspiré de Jon Lord (Deep Purple
Deep Purple


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) qu’il n’hésite pas à allier à ses influences perceptibles sur l’album ‘Bitches Brew’ du grand Miles, le claviériste est aussi habile pour passer d’un enchaînement rapide et excentrique à une ballade apaisante dans la plus pure tradition blues. C’est d’ailleurs lui qui se charge d’entamer la fantastique intro du morceau suivant écrit par Warren himself lors de son aventure chez le Allman Brothers Band et qui n’est autre qu’un hommage à Gregg Allman disparu en 2017 : le cultissime Soulshine.



On enchaîne en tombant légèrement dans le hippiesque avec Whisper In Your Soul et la ballade mid-tempo mélancolique Pressure Under Fire mais l’entraînant Fool’s Moon reprend le dessus de fort belle manière. Fruit d’une union improbable entre Jimmy Page, Jerry Garcia et Wilson Pickett, Warren Haynes fait plaisir à regarder. D’un calme olympien et absolument décontracté, l’homme n’a décidément pas que la chevelure qui est d’or. Et vas-y que ça jamme et que ça joue juste. Autant de perles sonores qui s’enfoncent dans nos esgourdes au gré des décibels que libère la sono. Disons le tout de go : par le passé, les élucubrations reggae de notre ami Warren ont déjà eu tendance à nous ‘les briser menu’ pour être poli et rendre ainsi hommage au passage à Michel Audiard. Mais quand ça vire funky comme sur Devil Likes It Slow où nos protagonistes du soir ne se privent pas pour faire durer le plaisir, on ne peut être que charmé par cette version haute en couleurs. On le sait, certains morceaux passent largement la barre des 10 minutes mais ce n’est pas pour autant que l’intensité en est affectée. Le premier set finit par se conclure avec un solide Revolution Come, Revolution Go avant une pause méritée d’une vingtaine de minutes.

On reprend avec le chant gospel de Warren introduisant John The Revelator qui voit Danny s’emparer d’un trombone. Comme prévu, le groupe entame un set beaucoup plus expérimental et bougrement jazzy. Si Slackjaw Jezebel joue la carte d’un boogie texan, on repart avec deux reprises de la fratrie Allman : Kind of Bird et son gros quart d’heure de blues progressif rapidement suivi de Come And Go Blues. Le contraste avec le premier set est déjà saisissant. L’objectif est d’atteindre un équilibre ultime entre chansons techniques étirées au possible et morceaux courts, tranchés et ‘plus faciles d’accès aux non-initiés’. Et cela semble mission accomplie au fur et à mesure que l’on avance dans le show qui ne sera à présent composé que de reprises après Fallen Down, dernier original de la Mule joué ce soir. Un petit clin d’œil à Grateful Dead plus tard (The Other One) et voici qu’arrive Dark Was The Night, Cold Was The Ground (Blind Willie Johnson), une merveille de composition à la guitare slide. Captivant par ses prouesses techniques et son savoir-faire incontestable, le groupe nous balance ‘à la cool’ deux derniers standards blues d’un temps révolu en guise d’adieu : Come On In My Kitchen de Robert Johnson et Look On Yonder Wall de James Clark. Et pendant ce temps-là, dehors, il pleut des cordes… Serait-ce un signe ?



Admirable de bout en bout, ce show proposé par Gov’t Mule
Gov’t Mule


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a permis d’encore mieux cerner son identité, ou plutôt devrions-nous dire son anti-identité découlant sans aucun doute de son engagement en faveur de la création spontanée. Avec le blues rock comme point de départ, ces vieux briscards doublés de musiciens hors pair ont réussi à canaliser le meilleur de chaque style en emportant les spectateurs à travers un trip d’enfer.
Un petit conseil lors du prochain passage de la Mule dans nos contrées :

Sauter sur son dos,
Tranquille au galop.
Gaffe à la ruade,
Pire que l’estocade.


Remerciements à l'Ancienne Belgique

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AUTEUR : Panda
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, pas...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...

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