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Ainsi font deux pataphons!

Mardi 7 septembre 2021

Cette semaine, Shoot Me Again vous propose un triptyque à la rencontre de deux artistes singuliers. L'un bidouille des sons traversant l'univers onirique, l'autre propose de s'arrêter pour ouvrir les yeux à partir d'images fixes. Un jour, ils se découvrirent pataphons. Mais avant de s'intéresser spécifiquement à l'activité créatrice de chacun, cette histoire nous amène à Redu, village du livre, pour prendre l'apéro dans la boutique de l'un qui y a fait jouer l'autre.



Quelle fut votre première rencontre?

Xavier Al Charif: Je travaillais à la Maison de la Pataphonie à Dinant. Mon collègue s'était fait la malle et on cherchait un nouveau pataphon. J'ai vu défiler des futurs pseudos pataphons. Puis il me semble avoir vu sa tronche à travers un porte et je me suis dit en moi-même: ''j'espère que ce n'est pas lui!'' Ben ouais, on ne peut pas toujours réussir. C'est ça non?

Michel Rossi Mori: Pour moi c'était là-bas, mais en avril et non en octobre (2003) lorsque j'ai commencé à y travailler. Je m'occupais d'un groupe de jeunes en stage avec qui j'ai franchi la porte. C'est Xa qui animait le voyage.

Xa: Subjugué qu'il était! Même si je ne me souviens pas du voyage dont tu parles.

M: Je ne m'en suis pas encore remis. Mais le première fois, professionnellement, c'était bien dans le couloir. Je me suis dit: ''apparemment on parle arabe!''

Vous vous dites pataphons, mais qu'est-ce que cette Maison de la Pataphonie ?

Xa: On l'est à vie! Mais c'est Michel qui explique parce que, mis à part qu'il y avait des tuyaux, je ne me souviens pas vraiment...

M: C'est une maison avec des pièces remplies d'instruments qu'on a fabriqués avec toutes sortes d'objets (on récupère peu, on achète beaucoup!) qu'on détourne à des fins patamusicales, sonores...

Xa: Et mercantiles!

M: Oui, c'est de loin l'activité la plus lucrative que j'ai pratiquée dans ma vie: construire des instruments à partir d'objets. D'ailleurs, on reçoit toutes sortes de publics plein de fric, issus des écoles de la maternelle au supérieur, des institutions, des associations, des familles... On propose un voyage en traversant la maison de manière onirique et tout le monde s'essaie aux instruments. Le pataphon est là, historiquement, en tant que gardien des lieux et de son esprit, pour faire vivre chaque pièce et ses instruments, pour que tout le monde ressorte avec une impression patamusicale. Autrement dit, ça fait bientôt dix-huit ans que j'anime ou joue des concerts avec inconscience - appelons ça comme ça - avec des milliers de personnes sans jamais créer deux fois la même chose.

Tu pourrais décrire le lieu?

M: Visuellement, il faut imaginer une maison médiévale, séculaire. Le bâtiment a résisté aux intempéries, à la première guerre mondiale lors de laquelle Dinant a été rasée complètement. Il a résisté à Xavier Al Charif aussi. Mais bien avant, il a échappé à un permis de démolition. Sauvé par une poignée d'historiens, il a été classé dans les années 80 et rénové avec divers projets pour devenir la Maison de la Pataphonie en 2001. Pour le reste, il faut y venir pour se rendre compte. L'évolution sur 20 ans est appréciable et la dernière scénographie a donné lieu à divers aménagements: les couleurs proches des tonalités sonores, de nouveaux éclairages... On peut dire qu'actuellement, ça l'effec-tue! Pour les oreilles et les yeux.

En quoi ce job a façonné votre regard et expérience sur la musique, voire orienté vers une direction particulière?

M: En partant du principe que Xa puisse avoir un regard sur les choses de la vie...

Xa: J'étais sensible à la musique, mais surtout aux détournements, au côté surréaliste et ubuesque, plus que musicien au départ.

M: J'ai un parcours musicien. Avant cela, je bossais aux jeunesses musicales. La musique est un pilier dans ma vie. J'ai découvert Zappa très tôt et il m'a donné envie d'aller vers des choses différentes, un peu surréalistes, issues de l'imaginaire, vers la créativité absolue. Les premières notes que l'on peut produire en faisant de l'animation musicale, c'est en tapotant sur des objets, en poussant des cris, en frappant sur le corps. C'était déjà très pataphonique. Je fabriquais déjà des petits instruments. J'y suis arrivé par un bon hasard sans postuler et j'y suis resté.

Xa: Pourtant, j'ai tout fait pour qu'il échoue!

M: Ça n'a guère fonctionné. Ça a plutôt élargi mon expérience puisque je ne pratiquais jusque là que la percussion. Peu à peu, je me suis mis aux cordes, à souffler, à fabriquer, rencontrer des luthiers, le centre de formation pour musiciens intervenants à Lille qui sont spécialisés dans la lutherie alternative. Je faisais intuitivement de la musique avec des objets qui m'entourent. C'est devenu mon activité principale et c'est ce que j'essaie aussi d'exploiter dans ZeroTeKno
ZeroTeKno


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Quelle est votre dernière rencontre?

M et Xa: Là-bas à Dinant dans le cadre de l'expo des 20 ans.

Personnellement, je vous ai vus tous les deux ici-même...

M: Lors du concert de Michel Brasseur. John Mary Go Round
John Mary Go Round


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Ah merde, je voulais que ce soit lors du concert de ZeroTeKno
ZeroTeKno


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. Qu'est-ce que vous en avez retenu?


M: Une migraine!

Xa: Une chiasse pour moi!

M: Il s'agissait de mes premiers pas avec ce projet. Xa fut le premier à me faire confiance pour me donner l'opportunité de me produire en live. Dès le départ, je voulais jouer dans des endroits qui ne soient pas forcément une scène ou un théâtre. Donc, jouer dans un lieu de type librairie-boutique comme la sienne, pour moi qui suis fan de livres, c'est une super opportunité. Ce sont des endroits magiques qui dégagent une charge particulière. Même si ZeroTeKno reste expérimental et que j'ai acquis un peu de bouteille depuis, c'était une première uniquement basée sur la confiance.

Xa: Brisée depuis! Disons que la boutique créative Ouvrez l’Œil est un lieu ancré depuis peu ici à Redu, village du livre. D'où le rapport à l'image. J'ai ouvert sur le coup de l'envie d'y montrer plein de choses, puis le lieu s'est aussi improvisé en espace concert. Je fais venir des artistes au gré de mes rencontres. Ce doit être un lieu vivant. Au départ, c'était encore un espace de soutien à l'asbl Un Œil et puis l'autre, son espèce de bistrot littéraire, visuel et sonore, notamment pour des invités aux line-up et matériel légers puisque le lieu est étriqué. C'est alors que Michel est venu pleurer pour un tremplin. Puis tant qu'à chialer ensemble, je me suis dit que ça pouvait bifurquer vers quelque chose d’un peu plus barré et abstrait, alors que jusqu'alors, j'avais proposé des artistes plutôt ''easy listening'' à un public qui commençait à se fidéliser. Leurs retours m'ont surpris, les gens sont friands de découvrir de nouvelles choses.

M: J'ai le souvenir d'une merveilleuse écoute. Ce qui n'était pas gagné avec une proposition un peu surréaliste, des sons et une façon d'être inhabituelle. Le public voit les morceaux naître et se construire devant eux, comme s’il était plongé dans l'atelier d'un artisan qui… ''artisane''.



Qui est le lieu, qui est l'artiste d'ailleurs?

Ils font tous deux diversion, l'un fait semblant de vouloir ramener au cadre de l'interview, l'autre poigne dans des bouquins et sort ''Un monde fragile'' hésite avec ''La conquête de l'espace'', puis opte finalement pour le conte de fée ''Le livre de la jungle'' (sic). Mais c'est ''Martine, petit rat de l'opéra'' qui met tout le monde d'accord!

M: Moi qui fait dans l'abstrait, là c'est une question qui mérite quand même qu'on fasse une pause, qu'on aille pisser un coup et s'en griller une!

On reprend l'échange après cette pause, mais j'ai lamentablement foiré avec l'enregistreur placé sur la table. Lorsque je me rends compte que l'appareil n'a pas été enclenché correctement, plus de dix minutes se sont écoulées autour de la question.

M: La démonstration éloquente de ce qui vient de se passer et suffirait amplement comme réponse à ta question.

Xa: Ich bin eine lieu!

M: Sans déconner, après une demi-heure de réflexion et d'échange informel, on rentre, on lance le machin, on dit des choses tellement fortes autour d'une question pertinente et c'est là que Xavier est le meilleur lorsqu'il parle de ses expériences inédites. Puis, on est tellement content qu'on refait une pause pour se rendre compte qu'il n'y a pas de traces. Donc, question suivante! Il y a des choses qui doivent rester ici.

Mais tout de même, Xa disait que c'était son passage à la pataphonie qui lui avait donné le goût du travail avec les gens...

Xa: La magie du lieu, l'accueil, la simplicité de l'acte. On dit bonjour, on leur tape dans la main et c'est parti. On a même une fois réussi à faire enlever les chaussures à un public pas nécessairement conquis. Des futurs instits qui laissaient leur affaires dans le vestiaire, à qui on lançait derrière la porte: ''Et n'oubliez pas de retirer vos godasses!'' On les attendait dehors et ils sont sortis tous en chaussettes! C'est nous qui étions surpris!!!

M: Pour de futurs instits, l'éducation c'est important!

Fous rires incontrôlables!!!

Xa: On aimait provoquer l'amusement, en prendre certains à rebours. Il y avait ceux qui plaçaient leurs enfants en avant puis se retiraient, mais on arrivait à les prendre au jeu.

Seriez-vous rock'n'roll? Trois albums marquants...

Xa: Every Good Boy Deserves Fudge de Mudhoney sans hésiter. The Plague That Makes Your Booty Move... de Infectious Grooves et Blues For The Red Sun de Kyuss.

M: Sheik Yerbouti de Zappa, The Bleeding de Cannibal Corpse et le Live de On est 138 à la Boîte à Idées à Jehay.

Une pochette marquante?

Xa: Celle de l'album Where you been de Dinosaur Jr, la face arrière rappelait le cri de Munch. Je l'avais même reproduite à la gouache lors de mes études artistiques. Car j'ai fait l'école d'art mon cher!!!

M: Visuellement, c'est compliqué pour moi. Même si je ne suis pas spécialement fan de Iron Maiden, il faut admettre que c'est le top. Sinon, l'album blanc des Beatles et le black album de Metallica!



La main dans le sac. Je leur présente à chacun un sac dans lequel ils piochent. Michel sort un petit papier sur lequel il est inscrit:

Boule à Fa 7 / Silent Area

M: Surprise! Je suis sidéré. OK, Boule à Fa 7 est le cover gang dans lequel j'ai joué durant 11 ans. Chaque musicien incarnait un personnage, chaque sortie était prétexte à une histoire parallèle qui nourrissait le projet. On appelait ça des ''Contrats''. Chaque contrat était le prétexte pour ramener un ''numéro'' que Lefty Larsen allait ranger dans ''L’Atelier''. Mais alors Silent Area... comment as-tu trouvé ça? C'est le seul groupe de métal dans lequel j'ai joué il y a tellement longtemps, en 92 ou 93. On l'avait créé et on avait composé tous les morceaux avec un pote guitariste. On est passé à cinq avant d'enregistrer une démo puis de splitter sans avoir joué le moindre concert!

Sticky Hands / Vanishing Point / Drosera

Xa: Les groupes dans lesquels j'ai joué. Je ne savais pas que je serais un jour propriétaire d'un instrument de musique. J'étais parmi les cinq garçons sur toute l'école, en section artistique chez les sœurs (chouette année car on était deux en gym et on jouait au ping-pong). J'ai acheté une guitare à un fille qui la revendait, j'écoutais Perfecto sur Radio 2. En trio, Sticky Hands est devenu Vanishing Point, une sorte d'indie rock un peu barré. Puis Drosera, un power trio avec lequel je suis passé de la guitare à la basse.

Rock's Cool

M: Je commencerai par l'autre côté du papier, il n'y a rien. Histoire de combler le vide, car n'est-il pas charismatique au point qu'on l'écoute? Bon, le rock c'est cool, mais c'est bien d'apprendre quelques trucs. Bref, je suis prof de batterie dans cette école depuis 2007. Je suis devenu le coordinateur pédagogique de l’antenne de Dinant en septembre 2020. J’y ai rencontré des tas de gens vraiment intéressants. Des profs, mais aussi des élèves. Beaucoup sont devenus des amis. Au fil du temps, j’ai écrit une méthode de batterie qu’un de mes anciens élèves a préfacée. À chaque fois que je relis son texte, j’en ai les larmes aux yeux... Je dis souvent que je souhaite à tous les enseignants du monde, quelle que soit leur discipline, de recevoir un jour un retour comme celui-là...

Un montage visuel encadré sur lequel Jésus se détend avec Marie-Jeanne - Marie Madeleine, c'était pour romancer! (Je l'ai dérobé dans la boutique en arrivant)

Xa: Ah, mais comment est-ce que tu t'es procuré cette image? Il n'empêche qu'il fallait aborder ça. Elle rend un peu de légèreté face à tous ces espèces de concepts. Dieu, c'est Johnny en quelque sorte. Plus j'avance, plus ces conceptions s'affirment progressivement comme des chimères. Quelle tristesse.

J'ai une idée!

M: Une des plus belles aventures de ma vie. Une asbl montée avec des potes, avec qui on a créé des tas de choses qui se voulaient artistiques, des groupes principalement. Tout l'argent récolté lors des concerts qu’on faisait avec Boule à Fa7, notamment, a été réinjecté dans une petite salle pour évoluer en lieu de concerts et d'expos. Xa y a d’ailleurs exposé plusieurs fois. L’endroit s’appelle La Boîte à Idées, le lieu existe toujours et ne demande qu'à revivre après la crise sanitaire que nous connaissons. Notre slogan est le suivant: 100% autonome, fait par des fans pour des fans. Les petits groupes n'existent pas, peut-on lire dans le backstage. On tient beaucoup à ces valeurs, dans le plus pur DIY Style!

Ordinary Language is Allright, premier CD demo d'Atomic Leaf.

Xa: La première pochette de CD que j'ai réalisée, sans doute la seule. J'étais à Bxl (à l'ERG - École de Recherche Graphique) et j'y croisais Fabox (chanteur du groupe à l'époque - ensuite batteur, puis dans Frank Shinobi et Mambo). Je délirais sur quelques recherches graphiques cette année là. Ils bossaient sur un enregistrement, il m'a proposé et on s'est bien amusé sur cette pochette.

CD ou Vinyle?

M: CD dans la bagnole pour venir à Redu et vinyle quand j'arrive dans la boutique de Xa!

Argentique ou numérique?

Xa: Argentique quand je dois faire de belles photos et numérique quand je dois faire des photos de la gueule de Mich!

M: Tu l’auras compris... avec des amis comme lui...



VISUELS/PHOTOS: Xavier Al Charif


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