''Vu qu’il n’y a pas de territoire musical officiel qui existe (à part les lieux dédiés à la pratique instrumentale), j’ai voulu en créer un par l’image.''


Samedi 1 janvier 2022

Quand je suis tombée sur le compte Instagram du photographe Anass El Azhar Idrissi, fraîchement diplômé de l' ''École de Photographie et de Techniques Visuelles Agnès Varda'', je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir une sorte de sérénité à la découverte de ces photos, malgré l'ambiance ''obscure'' qui y règne. Roche, forêts, animaux, mélanges de couleurs précis,... Tous ces éléments m'ont intrigué, à mes yeux il devait exister une histoire, une explication derrière ces images.

Anass, ton travail a été exposé à l’Autonomie (Anderlecht, Bruxelles) dans le cadre de l’exposition « COMMON SPACES » qui s'est déroulée du 04 et 19 décembre 2021 dans le cadre de l’École Agnès Varda.
Peux-tu en expliquer le fond pour celles/ceux qui n’auraient pas eu la chance de la visiter ?

À Agnès Varda, la finalité des 3 ans en cours du soir en photographie est d’organiser une véritable exposition commune. Elle doit inclure 2 sujets par élève : d’une part une thématique libre, soit un sujet plus ou moins personnel, et d’autre part une commande. Je pense que le sujet qui nous intéresse le plus aujourd’hui c’est ''Salvation'', ma thématique libre. La définition du terme oublié de la langue française, c’est sortir de l’oubli, échapper à la mort. Ce mot m’a beaucoup marqué et a surtout servi de pilier pour ce projet. Pour être honnête, il y a deux ans, j’avais déjà commencé un sujet sur la scène metal. Celui-là était plutôt axé sur les groupes metal dans leurs pratiques musicales. Finalement, j’ai réalisé que je tournais vite en rond. Salvation est donc une approche plus personnelle d’un sujet similaire. Pour ce qui est de sortir de l’oubli et échapper à la mort, ce sont des symboles par rapport à mon adolescence. C’était une période très difficile pour ma part, à cause du harcèlement scolaire. À ce moment-là, mon premier contact avec le metal m’a permis de m’évader de la réalité que je vivais.



Crédit photo: Anass El Azhar Idrissi

Par quelles étapes es-tu passé pour aboutir à ''Salvation'' ?
Par ce thème, je voulais démontrer que ce genre de musique m’a permis bien au-delà de me sauver de l’oubli et de cette phase difficile qui a fait partie de ma vie, elle m’a aussi ouvert une nouvelle porte sur le monde. En voulant traiter photographiquement l’univers qui entoure les personnes de la scène metal, je suis sorti de l’oubli. Étant donné que j’étais précédemment quelqu’un de très solitaire, reclus sur moi-même, cette scène et les personnes que j’ai photographiées m’ont permis de m’ouvrir. Au-delà de l’aspect musical de Salvation, j’ai mis en relation les questions « Quels sont les lieux où je me sens bien ? », « Quels sont les lieux où mes sujets photographiques se sentent bien ou alors qui les inspirent ? ». Vu qu’il n’y a pas de territoire musical officiel qui existe (à part les lieux dédiés à la pratique instrumentale), j’ai voulu en créer un à travers mes images.


Comment as-tu pensé à assembler les photos de ce projet en diptyques ?
J’ai investi artistiquement des lieux, parfois des éléments naturels tels que forêts ou des étangs. J’ai inclus des symboliques mortuaires, des forces de la nature, ce qui a permis de recréer ces territoires à travers des grands tirages qui étaient exposés à l’Autonomie. Vu que ce sont des lieux où je me sens autant dans mon élément que mes sujets, j’ai décidé de mettre en parallèle nature morte et nature vivante à travers des diptyques pour créer un réel univers.

Depuis assez longtemps, je voulais mettre en parallèle photos de nature et portraits au sein d’une même série. À la base, je ne le voyais pas comme ça a été exposé. Je voulais mettre des impressions de même taille côte à côte. En liant chaque fois élément naturel et portrait, ce que je voulais montrer c’est que dans l’univers du metal, il y a un thème récurrent : la nature. Sur mes photos, ces paysages ou forces de la nature sont indissociables des personnes du milieu.


Crédit photo: Anass El Azhar Idrissi

Chaque élément naturel a été pris en photo au même endroit que la personne associée sur le papier?
Non, absolument pas. C’est une sorte de travail post-opératoire, qui vient après l’editing des photos et de sélection. C’est après quelques mois de réflexion et d’expérimentations en terme d’accrochage que j’ai trouvé ces assemblages. Les portraits et les paysages ont fini par « se répondre » soit à travers la matière, soit par rapport aux couleurs.

Quand je suis entrée dans la pièce dédiée à ton travail, j’ai directement senti une aura particulière. J’imagine que la création de ton univers photographique a été un travail de longue haleine ?
Salvation m’a pris deux ans. Le second sujet, sur Arié Mandelbaumm (un peintre bruxellois), m’a pris environ 5 mois. Mon but à travers la création d’une exposition, ce n’est pas juste de coller des photos sur les murs. Il faut que l’espace où j’expose devienne un univers. Comme pour Salvation, ce n’est pas juste une pièce d’exposition mais plutôt une métaphore de mon for intérieur.
Mes images remplissaient les murs pour ne laisser aucun vide, afin de représenter la place qu’a cette musique dans ma vie. C’est-à-dire une place omniprésente.

Le fait d’avoir ajouté une chaîne hi-fi dans un coin de la pièce qui passait du metal ambiant tendait à immerger complètement les visiteurs/euses dans mon « for intérieur ».
L’autre pièce, où était exposé mon second sujet, était éclairée avec une lampe à éclairage doux parce que ça collait avec le thème en question.

Justement, pourrais-tu expliquer ton projet parallèle ?
Un jour, j’ai reçu un mail du Musée juif de Belgique. Ils me demandaient d’aller chez Arié Mandelbaum faire des photos de ses tableaux. C’est un peintre bruxellois né de parents juifs polonais à Bruxelles, en 1939… Début de la seconde guerre mondiale. Au moment où j’ai reçu le mail en question, il occupait un atelier avec d’autres artistes dans la Rue des Grands Carmes, à 20m de Manneken Pis... Avant que Ville de Bruxelles ne décide de demander à ces artistes de se trouver un nouvel atelier. En effet, la destruction de celui-ci était prévue, pour permettre la construction d’un immeuble de lofts. Suite à cette mauvaise nouvelle, Arié a fait don d’une grande partie de son œuvre au Musée Juif. Finalement, j’ai été émerveillé par le lieu, qui était coupé du bruit et du temps, mais aussi de tout repère géographique. Une fois à l’intérieur, on oubliait se trouver en plein centre ville. C’était un autre monde. Au-delà de la commande, j’ai par la même occasion immortalisé cet artiste dans ce lieu qu’il va quitter.

Il vivait là également. Vu qu’il ne peint plus, il a constamment l’air d’attendre quelque chose. Attend-il son départ de ce lieu ? Est-ce qu’il attend la mort ? Suite à ces questionnements m’est venu l’idée de poser un mot sur ceux-ci : le deuil. Il y a beaucoup d’éléments qui l’ont marqué : la Shoah à travers ses parents, la mort, le deuil de personnes mais aussi de ce lieu dans lequel il a vécu,...

Un thème un peu moins « brut » que Salvation, donc ?
Selon moi, il y a une certaine douceur dans Salvation. La majorité des gens ayant assisté à l’exposition ne sont pas des « metalleux/ses » et ont apprécié qu’on leur montre une représentation inattendue de la culture metal.

C’est à cause de la représentation des cultures alternatives et underground dans les médias, souvent dépeintes négativement…
Oui, selon eux nous sommes souvent juste des rigolos qui montrent leurs fesses. *rires*
En tout cas le public a été marqué par la sérénité, voire la solitude des images. On peut aussi y percevoir une sorte de silence.


Crédit photo: Anass El Azhar Idrissi

Quel lien réunit « Salvation » et tes autres projets photo passés ou futurs?
Entre Salvation et le sujet sur Arié Mandelbaum qui est un peintre bruxellois n’ayant rien à voir avec la scène metal, il y a une répétitions des les détails comme la solitude, les contrastes dans les sous-thèmes (par exemple la lumière et l’obscurité, la mort et la vie,…). Des thèmes étant fort repris dans les chansons metal et qui pourtant n’ont a priori rien à voir avec ce peintre. Ces éléments reviendront d’ailleurs dans mes futures photos, c’est certain.

Des projets visuels pour la suite ?
À mes yeux, Salvation n’est pas terminé et ne le sera jamais. Il prendra peut-être d’autres approches, vu que je désire encore traiter d’autres aspects de cette scène. Ma volonté première est de faire découvrir cette musique à des personnes qui ne sont pas du milieu. Ça ne m’intéresse pas de prêcher des convaincu(e)s mais plutôt de changer la vision de ce milieu des personnes qui ne le fréquentent pas du tout. C’est un travail que les médias classiques, wallons ou bruxellois, ne font pas. Ils ne veulent ni nous connaître, ni nous donner la parole tandis qu’en Flandre, le milieu metal a déjà un peu plus de parole.
Au-delà de ça, je songe à débuter un projet photographique sur la couleur noire. Parallèlement, j’aimerais aborder l’image du diable aussi et tenter de répondre artistiquement à des questions telles que : « Comment cette image a été construite ? », entre autres. Je mettrai peut-être aussi sur pied un projet plus critique : le consumérisme dans la scène metal. Étant donné que la plupart de ses fans sont à la recherche de collectionner le plus d’objets possible à l’effigie de leur(s) idole(s). Il y a une espèce de consumérisme, de marketing très féroce que j’ai envie d’aborder. Sinon, faire des collaborations avec des groupes de musique m’intéresse. Pas uniquement les prendre en photo d’une façon totalement commerciale dans une forêt où je leur demanderais de poser bras croisés, mais plutôt faire une série photo où je resterais dans mon univers tout en les laissant dans le leur. Mon objectif est de lier cet art musical avec mon art visuel pour donner de l’importance à la photographie dans ce milieu.


Crédit photo: Anass El Azhar Idrissi
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AUTEUR : Rosie
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