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Et en 2021, Anti-God Hand se leva

Samedi 1 janvier 2022

Il y a un an encore, personne n'avait entendu parler de Anti-God Hand. Et si, selon toute probabilité, le groupe était déjà en place et fomentait ses méfaits à venir dans la clandestinité de quelque repaire isolé de l'ouest canadien, rien ne laissait présager des attaques répétées qu'il allait perpétrer durant cette année 2021.


Du collectif A-G H, on ne sait rien, si ce n'est que les initiales de ses cinq membres forment un TR/AN/CE CU/LT aux allures de profession de foi. Un bref crochet par leur page web (difficile d'appeler ça un site) ne nous en apprend pas davantage ; tout juste devine-t-on un goût assumé pour les premiers ordinateurs et les possibilités de mise en page très rudimentaires qu'ils offraient. Et, au fond, tant mieux qu'il en soit ainsi, car ce qui nous intéresse ici, c'est le son et l'univers singuliers que proposent les Canadiens, et, autant le dire tout de suite : ce son et cet univers sont sacrément intéressants !

C'est en février 2021 que le combo originaire de Colombie Britannique est apparu sur les radars les plus affûtés, par le biais d'un deux-titres balancé en catimini sur une page Bandcamp créée pour l'occasion, aussitôt publié au format cassette par American Decline Records et aussitôt épuisé – et donc déjà culte. Cette première offrande dévoilait un Black peu orthodoxe, suintant d’excellentes mauvaises intentions qui ne demandaient qu'à se répandre sur un format plus long. Cela sera chose faite quatre petits mois plus tard avec la parution de Wretch, un premier LP certes un peu bref mais cohérent de bout en bout, qui révélait un groupe à la personnalité complexe et, décidément, très surprenante. Mais voilà, à peine avait-on entrepris d’apprivoiser la bête fraîchement portée sur les fonts baptismaux que les Canadiens remettaient ça trois semaines plus tard, par le biais d’un EP incandescent. Assistait-on à l’émergence d’un de ces collectifs hyper-actifs qui allait enchaîner les sorties à un rythme effréné, sorte de King Gizzard version Metal ? On pouvait le penser. Et, d’ailleurs, une fois l’automne venu, Anti-God Hand s'est encore livré à l'exercice du split, aux côtés de Threshing Spirit, portant ainsi à quatre le nombre de ses publications au titre de sa première année d'activité. Plutôt pas mal pour une entrée en matière !

Et justement, en parlant de matière, à quoi avons-nous donc à faire ici ? On passera très vite sur le tag Cosmic Black Metal que le quintet mentionne sur sa page Bandcamp. Si on devine le pourquoi d’une telle référence (le caractère énigmatique du groupe et des compositions où se mêlent habilement ambiances souterraines et sons aériens), l’univers que dessine Anti-God Hand reste très éloigné d’une esthétique qui use abondamment des claviers et autres artifices électroniques, au point de tomber souvent dans le maniérisme. On a beau tendre l’oreille à s’en dilater les tympans, on ne perçoit pas une note de synthé ici. S’il faut à tout prix établir des comparaisons, on avancera timidement les noms de Oranssi Pazuzu
Oranssi Pazuzu


Clique pour voir la fiche du groupe
(pour l’inventivité et la liberté de ton) et de Skáphe ou An Axis of Perdition (pour la capacité à entretenir des atmosphères suffocantes). Mais, au global, ce que les Canadiens proposent ne ressemble pas à grand-chose… sauf à une sorte de Metal hybride, libéré de toute contrainte de fond comme de forme. D’ailleurs, si on creuse un tant soit peu, on remarque que l’intro en tapping de The Axe That Splits the Cedar évoque inévitablement Van Halen
Van Halen


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et son mythique Eruption, que le son de basse en entame de Forest Outpost renvoie aux Cure période Pornography, que la ligne de guitare qui ouvre The Last Gate a une rondeur et une chaleur qui rappellent assez la Fender de Mike Stern… c’est dire que le spectre est large !


Anti-God Hand, ce sont des vocaux habités qui tutoient les limites du harsh noise ; des guitares qui, par contraste, n'abusent pas de la distorsion et savent rester claires ; une batterie compulsive soutenue par une basse bien présente, ce qui n'est pas si courant dans le Black. Mais, Anti-God Hand, ce sont surtout des sons diffractés, qui semblent s'écraser contre les murs capitonnés de la cellule d'un asile abandonné. Le tout contribuant à plonger l’auditeur.rice dans une expérience sensorielle ambivalente où fascination et appréhension se mélangent. Toutefois, si le collectif dresse le tableau sonore d'un monde finissant, d'une humanité aliénée, il parvient aussi à distiller un peu de lumière ici et là, suggérant ainsi que la beauté reste une possibilité – une possibilité peut-être insaisissable, peut-être vaine, mais une possibilité tout de même !

Le brûlot dévastateur qui déferle sans temps mort, Anti-God Hand sait faire et bien faire, ce d'autant plus qu'il le fait avec parcimonie (Threshold Magic, Chain of Shame). Mais les Canadiens démontrent qu'ils maîtrisent aussi (et surtout !) les constructions plus alambiquées, teintées d'influences parfois atmosphériques (The Last Gate), parfois expérimentales (Aratron Drawn Heavenwards), le plus souvent progressives (Sacred Cannon, Hyperincursion of the Theocentre). D’ailleurs, c'est fréquemment sur les formats les plus longs (Wealthy Demons Collect Butterflies, Moss Golem, Enchiridion Thrones) que le groupe en profite pour envoyer ses salves les plus brutales... et ainsi mieux les nuancer sur la durée, par le biais de phrases mélodiques qui agissent comme des respirations, de développements polyphoniques qui apportent une vraie profondeur de champ, d’envolées au lyrisme contenu qui prouvent que musiques extrêmes et sens de la musicalité ne sont pas antinomiques.

Si l’écoute d’une traite des 16 titres dans l’ordre de leur parution peut s’avérer éprouvante, elle révèle cependant une écriture dynamique, évolutive, qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Elle suggère également que ces publications répétées sur un laps de temps court ne relèvent pas du pur hasard. Car en un peu plus de 86 minutes, les Canadiens parviennent à forger une identité artistique forte, très vite reconnaissable, et ce sans se répéter, ni tomber dans la facilité, ni surtout imiter qui que ce soit. Quand on évolue dans un registre aussi rebattu que le Black, c'est déjà en soi un joli tour de force. Si on ajoute encore que le quintet n'en met pas une à côté et parvient à entretenir un discours musical inventif, (presque) instantanément captivant, ce n'est plus d'un tour de force dont il s'agit, mais d'un de ces petits miracles qui surgissent parfois, le plus souvent par surprise et sans aucun effet d'annonce.

Suivant les dispositions prises par Anti-God Hand en 2021, dire qu'on est plein d’attente et d’espérance pour 2022 tient autant de l'euphémisme que du vœu – du vœu vraiment pas pieux pour le coup.


https://antigodhand.bandcamp.com/
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AUTEUR : Olivier
Infatigable découvreur de sons, Olivier parcourt la planète musique depuis quelques décennies maintenant, avec un intérêt plus marqué pour le me...
Infatigable découvreur de sons, Olivier parcourt la planète musique depuis quelques décennies maintenant, avec un intérêt plus marqué pour le metal, le post-rock et le jazz. Il fréquente assidûment les salles de concerts de France et de Belgique, mais il n'hésite pas à passer les frontières et à tailler la route pour assister aux presta...
Infatigable découvreur de sons, Olivier parcourt la planète musique depuis quelques décennies maintenant, avec un intérêt plus marqué pour le metal, le post-rock et le jazz. Il fréquente assidûment les salles de concerts de France et de Belgique, mais il n'hésite pas à passer les frontières et à tailler la route pour assister aux prestations de ses artistes favoris. Il a rejoint l'équipe en novembre 2020....
Infatigable découvreur de sons, Olivier parcourt la planète musique depuis quelques décennies maintenant, avec un intérêt plus marqué pour le metal, le post-rock et le jazz. Il fréquente assidûment les salles de concerts de France et de Belgique, mais il n'hésite pas à passer les frontières et à tailler la route pour assister aux prestations de ses artistes favoris. Il a rejoint l'équipe en novembre 2020....
Infatigable découvreur de sons, Olivier parcourt la planète musique depuis quelques décennies maintenant, avec un intérêt plus marqué pour le metal, le post-rock et le jazz. Il fréquente assidûment les salles de concerts de France et de Belgique, mais il n'hésite pas à passer les frontières et à tailler la route pour assister aux prestations de ses artistes favoris. Il a rejoint l'équipe en novembre 2020....

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