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Scène locale : est-ce que tout va si mal ?

Mercredi 14 février 2024

Au sein de l’équipe, on constate, dans nos déplacements à droite et à gauche, qu’on est parfois/souvent trop peu devant la scène. On se rend compte aussi que plusieurs orgas sont en difficulté.
Crise sanitaire, augmentation des coûts, manque d’investissement dans la culture, etc.
La situation devient difficile pour les petites et moyennes structures. La scène locale, comme on dit chez nous. Ou la « classe moyenne » du secteur musical, comme l’a expliqué Larsen dans un article paru en septembre 2023 qui nous a fortement interpellé.
Mais certaines dates fonctionnement et certain·es organisateur·trices se portent bien. Pourquoi ? Comment ? On a essayé d’y voir un plus clair avec différent·es intervenant·es.




Chez Poupoune à Ath, on survit. C’est ce que me dit Johan Detilleux, responsable de la salle de concert, en ajoutant qu’en mars prochain, il cessera son activité.
Johan poursuit : « On ne fait que très rarement des bénéfices, entre la rémunération adéquate des artistes, les charges liées à l'endroit, le prix des bières, la tva, etc. c'est compliqué de s'en sortir correctement. Actuellement, nous sommes en questionnement sur la reprise du lieu par quelqu'un d'autre qui, sans doute, ne fera plus de concerts. La ville d'Ath, pourtant assez active, est une ville dortoire. Notre projet est sans doute trop optimiste pour la ville ou la région. Nous sommes fiers de ce que nous avons créé en deux ans mais nous sommes également surpris par le manque de curiosité dans la région et donc de fréquentation. »

Du côté du Bear Rock Festival à Andenne, l’édition 2023 a été annulée, faute de rentrées financières suffisantes. Actuellement, les finances de l’ASBL sont légèrement positives grâce aux recettes du bar des Fêtes de Wallonie, du marché de Noël d’Andenne et au subside exceptionnel de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) pour permettre à l’ASBL de se remettre à flot. « La motivation pour organiser le festival est toujours là, précise Benoit Libert un des organisateurs, mais le budget de celui-ci est compliqué vu que l’on veut garder la gratuité pour le public et proposer une affiche alternative de qualité. Un festival est normalement prévu en juin 2024 mais nous allons limiter à une scène au lieu de deux. »
Benoît me confie encore que, pour assurer l’avenir du Bear Rock, il faudrait soit une stabilité financière via l’obtention de subsides soit mettre en place un prix d’entrée.

À Liège, PopKatari organise en moyenne un concert par mois, souvent pour une petite jauge de 25 à 50 personnes. En 2023, il y a eu trois, quatre ''échecs'' où les membres du collectif ont dû puiser dans leurs économies personnelles pour payer les groupes. Hadrien Panelli pense que le public existe quelque part mais qu'il n’a pas les moyens d'aller le chercher. « Parce que nous sommes bénévoles, poursuit-il, et que nous n'avons pas nécessairement le temps et l'argent pour parvenir à toucher un public large. On utilise Facebook depuis des années pour faire la promo de nos concerts mais depuis quelques années, il faut payer pour avoir de la visibilité. Je ne suis pas du tout fan de ce système. »
Hadrien veut continuer à faire venir des groupes de qualité à Liège et tant qu’il peut compter sur ses amis pour donner un coup de main aux soirées (entrées, cuisine, vaisselle, photos, graphisme), il continuera à ajouter des dates.

Un lieu, un concept, du dialogue

Estéban Lebron, co-organisateur du Dark Dungeon Festival au château de l'Avouerie d’Anthisnes, confirme qu’organiser en Belgique reste risqué financièrement. « Par exemple, dit-il, avec le Dark Dungeon Festival 2023, malgré que c'était sold out, on a quand même été en déficit. Bon, c'est vrai que les tickets n’étaient vraiment pas chers (rire). » Estéban m’explique que le lieu et le style de musique ont fait la différence. Un festival dans un château, ça claque, surtout avec ce style de musique. Prendre le risque d’organiser le premier festival de dungeon synth en Europe a porté ses fruits. Plus de 20 nationalités différentes étaient présentes. Estéban poursuit : « De manière générale, il faut plus d'aide et de soutien des politiques. Aussi, que les fans locaux se bougent. Quand j'entends quelqu'un qui va voir Rammstein et qui te dit, je ne vais pas mettre 8€ pour une soirée où je connais aucun groupe. C'est quand même vraiment dommage. Il y a tellement de chouettes groupes à découvrir. »



Le Ways Around Festival, qui se déroule en mars à Bruxelles, fonctionne uniquement grâce aux tickets vendus. Le festival ne pourra pas avoir lieu une quatrième fois si les ventes de tickets ne sont pas suffisantes. C’est ce que m’explique Benjamin Fournet, co-créateur. Il est également bien conscient qu’aujourd’hui, ouvrir une salle, accueillir un groupe, monter un festival coûte de plus en plus cher. Sans l’aides des sponsors et des pouvoirs publics, c’est très compliqué. « Notre sentiment à Ways Around, poursuit Benjamin, c’est que le public aime les soirées conceptuelles. De plus en plus d’organisateurs labellisent leurs soirées (Ed Banger, Europavox, Bota by Night, etc). Ces axes de communication sont, à mon sens, plus identifiables pour le public alors que la proposition de concerts en Belgique, et particulièrement à Bruxelles, s’est décuplée après la crise Covid. Ways Around s’inscrit dans cette dynamique. Créer une confiance avec le public et une marque reconnaissable dans le paysage bruxellois. »

Yohann Thibaut est partout ou presque. Il assiste à 4 à 5 concerts par semaine et en organise aussi au Mcp-Apache à Fontaine-l'Évêque. Il rentre à chaque fois dans ses frais après avoir été obligé d’imposer des prix entre 10 et 15€ en prévente. Yohann soulève un autre point. Les organisateurs ne dialoguent pas assez entre eux. C’est pour cela qu’on retrouve les mêmes styles programmés dans un rayon d’une dizaine de kilomètres ou le même groupe/package qui va jouer trois ou quatre fois en Belgique sur la même tournée. « C’est vraiment dommage, poursuit-il, car l’affluence en Wallonie n’est déjà pas folichonne, et en plus, nous la divisons. De mon côté, je refuse toujours un plateau qui joue déjà n’importe où en Wallonie. Une date en Flandre et une en Wallonie, c’est bien assez. C’est pourquoi, je suis souvent en contact avec les orgas de La Zone, Magasin 4, Cronos ASBL ou Mass Deathtruction pour éviter tout doublon inutile. »

Le metal : valeur sûre ou pas ?

Sophie Leburton, ancienne organisatrice qui a repris du service, est étonnée du nombre de concerts qui ont rencontré un franc succès cette saison à la Zone. « Ça nous permet de garder la motivation, dit-elle. Je pense que ça devient difficile pour les petites salles. C'est la course pour avoir des subsides, c'est souvent la guerre avec les voisins, etc. A Liège, nous avons la chance que le public metal se renouvelle et que beaucoup de jeunes s'intéressent à la musique et aux lieux alternatifs mais j'ai l'impression que dans d'autres villes, ce sont les mêmes depuis 20 ans. » Sophie attire mon attention sur un autre point : les agences de booking qui deviennent de plus en plus grosses et de plus en plus gourmandes, même à son « petit niveau ». Elle conclut : « Il faut qu'on se serre les coudes. Les salles, les orgas, les webzines, les groupes qui restent accessibles. Etre conscient que ce qui nous tient à coeur demande qu'on s'investisse tous. Jusqu’à maintenant c'est le cas et ça tient mais il ne faut pas perdre de vue que c'est un équilibre fragile. »

Par contre, Pedro du Mass Deathtruction à Louvain constate, lui, que la jeunesse ne suit pas le mouvement. C'est vrai qu’on est plus sur un moyenne d’âge qui tourne autour des 30-50 ans. « Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas plus de jeunes au Mass Death, poursuit Pedro. On essaye pourtant d’avoir les prix les plus démocratiques possibles. Une majorité des jeunes n’est plus attirée par ce genre de musique. Je pense que c’est une histoire de mode. Tout change, les goûts changent. Les jeunes écoutent du rap actuellement. »

Chez Collectif Mental, ça roule plutôt pas mal. Marc Gérard est satisfait de son année 2023 où il a organisé de chouettes concerts à Bruxelles et à Liège. Le défi, pour Collectif Mental c’est de trouver une salle disponible. Les salles de petite taille étant très vite bookées, il a peu de possibilité. Marc ajoute que tout ce qui concerne le metal marche très bien. « Il n’y a pas toujours des salles prêtes à accepter ce genre de musique, dit-il, alors qu’il y a un public demandeur prêt à acheter des tickets et à se déplacer. Les dates qui fonctionnent peut-être un peu moins sont celles avec de l’expérimental, du drone, quand c’est plus pointu. On est heureux aussi quand on peut bénéficier de subsides de la FWB, cela nous a beaucoup aidé en 2023. » Marc pense qu’il faut plus d’aide financière, plus de subsides. Un système fiscal plus adapté à la réalité du terrain. Il est aussi nécessaire, selon lui, de mieux soutenir les petites salles de concerts ouvertes à tous les styles de musique, pas seulement à un style en particulier.



Les médias ont-ils une part de responsabilité ?

Pour Etienne Dombret, chef éditorial à Classic 21, il faut agir. Le public doit reprendre la route avec l’envie de découvrir des lieux et des artistes locaux. Il poursuit : « La démographie belge ne cesse d’augmenter, les salles ne se remplissent pourtant que trop peu. Aussi, la dernière réforme concernant la rétribution des artistes non-professionnels (révision du RPI) ne va pas aider. La situation antérieure, bien que perfectible, permettait un défraiement juste. Ce sont eux qui, je pense, remplissent, dans une forte proportion, les petites salles. »
Etienne a bien conscience que son média est l’un des maillons de cette chaine. Pour Classic 21, il signe plus de 660 partenariats à l’année qui vont de grosses salles comme Forest National à des salles de village, dans différents styles (metal, blues, rock alternatif, etc). « Nous programmons significativement des artistes locaux et renseignons à chaque diffusion leurs prochains concerts, ajoute-t-il. On peut modestement stimuler le public, le conseiller, mais pas l’obliger à se déplacer. »

Claire Monville, rédactrice en chef de Larsen, enchaine en précisant qu’elle a remarqué un changement dans le comportement du public. Celui-ci a pris l’habitude, depuis le covid, de rester chez lui. Elle constate également que le public est prêt à mettre de grosses sommes d’argent pour aller dans des grandes salles, des grands festivals pour être certain de passer une bonne soirée et d’avoir du plaisir. « Il ne prend plus le risque d’être surpris, poursuit Claire, ni de découvrir des groupes pour une dizaine d’euros l’entrée. Je ne sais pas vers quoi on va. Les gens ont besoin de vivre une expérience, quelque chose de particulier avec une identité particulière. Les subventions ne sont pas les seules solutions, même si certains devraient en avoir plus. Le public est partiellement responsable, il faut se bouger, aller dans les concerts. »
Claire ajoute qu’au niveau de Larsen, le boulot est fait, l’info est diffusée. Tout en sachant que son magazine n’est pas un grand média et en regrettant qu’il y ait peu de place pour la culture et les découvertes dans ces grands médias.



Et le public ?

Et toi, public, qu’est-ce qui te motive à aller voir un concert dans une petite ou moyenne structure plutôt qu’à l’AB, au Lotto Arena ou la Rockhal?

Martin Drs qu’on voit partout aussi répond que la plupart des groupes qu’il aime ou qu’il veut suivre ne sont pas sur des grandes scènes. Il me dit préférer faire plusieurs concerts à des prix abordables qu’un seul à un prix de fou. Il ajoute : « J’avoue qu’à part changer d’une manière ou d’une autre la mentalité des Wallons à propos d’assister aux petits concerts, je ne vois pas quoi faire pour améliorer la situation. La Flandre n’a pas le même souci (rire). C’est difficile de faire vivre le metal en Wallonie, ça fait des années qu’on le dit et qu’on essaie de se battre pour ça. Ceux qui se lancent aujourd’hui, s’ils ne sont pas bien entourés ou avec un background déjà dans la scène qui peut leur attirer du monde se retrouvent souvent vite face au constat qu’on perd vite beaucoup d’argent. Et ils arrêtent. »

J’ai aussi posé la question à Pascal Paridans, ou Monsieur Pascal pour les intimes. « Souvent, je vais voir des trucs disons hors réseaux officiels, dit-il. Parce que j’aime ça et pour soutenir mes amis programmateurs qui se bougent le cul pour proposer des concerts hors système. Justement, ce genre de petites infrastructures les aident. C’est une question difficile. Et je n’ai malheureusement pas de réponse à te donner. J’y vais, point. »

Pour Laurence Navarre, soutenir la scène locale c'est une question d'habitude. Ado, elle assistait à des concerts dans des buvettes de foot, des maisons des jeunes ou des salles de villages. Elle appréciait l’esprit communautaire, DIY, punk, l’entraide et la bienveillance. « C'est chaleureux, c'est humain, affirme-t-elle. C'est important de préserver ce genre d'endroit et les « petits » organisateurs. Ils permettent une proximité avec la musique, de pouvoir vivre les concerts pleinement. Je pense que c'est une question de choix personnels, de position que l'on souhaite avoir face à ce problème. Qui ai-je envie de voir sur scène, dans quelles conditions ? A quel genre de structure ai-je envie de donner mon argent ? C'est important que chacun comprenne le rôle qu'il tient dans la scène alternative, underground, et la façon dont il peut la faire vivre. »

On le voit dans les différents témoignages, la non fréquentation d’une salle ou d’un concert est bien une réalité, ou une crainte, vécue par un nombre important d’organisateur·trices de la scène locale. Les raisons sont multiples et parfois très spécifiques à un endroit. Mais des dates fonctionnent et la motivation subsiste. Cet article a mis en lumière certaines réussites et ''affaires qui roulent''.
C’est tout un secteur qui est concerné, des agences de booking aux pouvoirs publics, en passant par les organisateur·trices et les artistes.
Le public, pas assez présent, a souvent été incriminé par les personnes interrogées. Sans lui, tout est foutu. Il est le maillon central de toute cette dynamique, la plus souvent bénévole et méritante. En fin de compte, n'est-ce pas lui qui a le pouvoir de changer les choses?
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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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