«Il faut que je parle. Quelqu'un doit le faire. Dire. Expliquer. Oui... Cet après-midi du 4 avril dernier, seul dans ma chambre, je glisse dans ma platine cd un objet musical. Comment dire... C'est l'album collaboration entre The Body, duo doom/sludge expérimental de Portland et Full of Hell, groupe grindcore / harsh noise du Maryland. Ça s'intitule One Day You Will Ache Like I Ache. Je croyais à une menace en l'air, à du marketing américain pour neuneus...
Je mets le casque, pour mieux me concentrer sur ce prometteur crossover entre un de mes groupes préférés et la méthode ultime coloriée au harsh noise stimulant de Full of Hell. Je me réjouis d'avance... mes neurones aussi. Plage une. En vingt secondes je comprends. La fusion est parfaite. Tout simplement. Chip King (The Body)et Dylan Walker (Full Of Hell) se partagent les vocaux, les échangent. Sur « One Day You Will Ache Like I Ache », les deux groupes jouent parfaitement ensemble: l'un se transcende dans le style de l'autre et réciproquement. La suite... C'est de plus en plus disruptif. Intrusif. Intrusif. Intrusif. « Flesworks » semble vouloir me parler directement... Je dois lui répondre. Trop tard. Mon corps s'immobilise. Mon visage se fige. « The Butcher » hulule, au milieu de loops angoissants, qui tournent et s'arrêtent, tournent encore. Mon esprit me parle. Il formule; décrit, exprime, pense. Le temps commence à s'étirer. C'est lent, lourd, épais, abrasif. Mon esprit continue. Je me souviens de l' « Ulysse » de James Joyce et de ses monologues intérieurs, qui divisent l'espace temps; le recomposent. Une heure dure plusieurs heures. Ça me rassure. Ça me parle. Quelle candeur !
Choc. J'enlève le casque durant l'intro de « Gerhorwilt ». La musique, les cris, les guitares longues, épaisses et lentes ne s’arrêtent pas. Choc. Je comprends. C'est... c'est mon esprit qui hurle; qui languit; qui pleure. Non, je ne contrôle rien, ce n'est pas mon esprit; c'est... mon âme! Tout se passe ici et ailleurs. Dans mon crâne et dans les enceintes. C'est impossible. Je ne crois pas à la notion d'âme. Alors... oui c'est lui: c'est mon inconscient; ça! Ça s'exprime maintenant et me joue « Bottled Urn » puis « The Little Death ». Ça est noir, si noir. Triste, si triste. Quelle angoisse. Lee Bufford, Chip King, Dylan Walker et ses comparses ne sont pas là. Personne n'est là. C'est «ça» qui couine des guitares, qui suinte les programmations, qui tremble les percussions, qui angoisse les vocaux.
Pétrifié. Je me sens vulnérable mais je me sens bien. Si bien. Fin de « Abel », j'ai chaud. Un souffle froid me glace l'échine. Bien-être absolu teinté d'angoisse: aurais-je droit à l'extase des martyrs? J'appuie péniblement une nouvelle fois sur «play»...»*
* Extrait du rapport de police n°2016/AOTY. Retranscription d'un fichier audio issu d'un smartphone de marque X, retrouvé, le 4 avril 2016, à côté du dénommé P.C., dont le corps a été libéré par une combustion spontanée et la tête figée dans un état extatique.
Disque trouvé, tournant en boucle dans la platine X de la victime: The Body / Full of Hell, One Day You Will Ache Like I Ache, l'album, d'après nos sources au Ministère, rendu coupable d'avoir créé le phénomène d'auto-rétroversion acoustique simultanée. L'album qui fait hurler les âmes.
Affaire classée ------------------------------------------------------------------------------------------