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La République de Lucifer

Qu'ont en commun le black metal et les philosophes de la Renaissance ? Plus que vous n'imaginez !


Mardi 23 mai 2017

Dès la fin du Moyen-Age, les souverains d'Europe ont voulu mieux contrôler leurs terres. Ils ont donc amélioré les réseaux routiers pour permettre à leurs armées de circuler plus vite, et ils ont mis en place les premiers services postaux afin de transmettre rapidement leurs ordres. Mais ces nouvelles infrastructures ont eu une conséquence inattendue : elles ont accéléré la diffusion du renouveau culturel de la Renaissance. A travers tout le continent, les érudits et les savants ont pu voyager et entretenir une correspondance régulière avec leurs semblables. Des penseurs tels qu' Érasme ou Thomas Moore vont commencer à s'envoyer des lettres pour comparer leurs travaux, débattre, et commenter leurs lectures. Les historiens appellent ce grand moment d'échange la Respublica literaria ; une véritable galaxie de lettrés interconnectés qui va profiter des nouvelles technologies de l'époque, comme les machines d'imprimerie de Gutenberg, pour diffuser connaissances et opinions à une échelle encore inédite.



Après cette entrée en matière historique – intéressante, je l'espère – vous vous demandez sûrement par quelle pirouette rhétorique je vais bien pouvoir tisser en lien entre des érudits de la Renaissance et le metal. Je relève le défi : ce rapport c'est Internet, sans doute la plus grande révolution dans l'histoire des communications depuis l'invention de l'imprimerie. La démocratisation du Web a permis à des gens du monde entier d'entrer en contact les uns avec les autres avant d'échanger leurs opinions et leurs préférences culturelles, tout en leur offrant la possibilité de diffuser très facilement leurs propres créations, qu'il s'agisse de textes, de photographies ou de vidéos. C'est d'ailleurs ce que je fais sur Shoot Me Again. Ce sont sans doute les amateurs de musique qui ont le plus profité de la révolution Internet : l'apparition de plate-formes de partage telles que Youtube ou Bandcamp a permis aux internautes du monde entier d'écouter gratuitement des artistes, qu'il s'agisse de rock stars déifiées ou de nouveaux groupes qui se cherchent un public. En seulement quelques clics, on peut écouter des albums entiers avant de les partager à notre tour sur les réseaux sociaux. Ce phénomène de démocratisation culturelle n'est bien sûr pas propre au metal : si le Web a permis de (re)découvrir de nombreux groupes de hard rock ou de la NWOBHM qui n'avaient pas connu le succès à l'époque, cela vaut pour tous les genres musicaux. Combien de perles méconnues du rock'n roll des 50's ou du punk des 80's ont été déterrées grâce à Youtube alors que les disques originaux tiennent du Saint Graal ? Le Web permet à de nombreux jeunes ( et moins jeunes, d'ailleurs) de découvrir les 60 dernières années d'innovation musicale sans pour autant vendre leurs organes pour se payer des vinyles qui ont pris une aura de reliques sacrées.

Mais je pense que si il me fallait citer le genre de musique qui a le plus profité des nouvelles opportunités offertes par Internet, je choisirais à coup sûr le black metal. Comme pour les autres styles musicaux délaissés par les médias classiques, le Web a permis aux Arts Noirs de se diffuser bien plus facilement auprès d'un public sensiblement plus large qu'à l'époque de son émergence dans les brumes d'Hyperborée. Willow, auteur de la série de podcasts Métalliquement Vôtre et membre pendant un temps de l'équipe du Webzine Horns Up, a aussi constaté l'importance du Web dans la diffusion du black metal entre deux projets expérimentaux tels que La Java Grise : ''Je pense que tous les styles musicaux qui furent de niche à une époque ont vécu le même phénomène : le Web a permis de créer plus facilement des TV thématiques, des webzines, et au moins 800 milliards de blogs de par le monde (rire) ! Le black metal n'a pas été épargné : c'est une musique de niche qui s'est démocratisée, puis considérablement développée avec l'arrivée du Web. Des blogs ont commencé à recenser des groupes jusqu'alors méconnus, et maintenant, en deux clics, tu peux découvrir des œuvres vraiment underground qui n'étaient sorties qu'en dix exemplaires, alors qu'à l'époque, il fallait arriver à se procurer un de ces dix exemplaires ! C'est plutôt chouette, car maintenant les gens peuvent s'inspirer de choses qui étaient vraiment confidentielles quand elles avaient été créées. Par exemple, les Légions noires, un collectif français de black metal minuscule créé par quelques bidouillards dans les années 90, et qui a ensuite inspiré une scène immense. La scène black/noise actuelle n'existerait pas sans les expérimentations des Légions noires, et aujourd'hui tu peux trouver des milliers de groupes de black/noise. Internet a grandement facilité l'expansion du black metal.''



Si Internet permet aux nouveaux fans du genre de découvrir des projets datant de la genèse du black metal, il offre aussi une visibilité inédite à de nouveaux artistes du monde entier, d'autant plus que le black moderne est bien souvent composé par un unique musicien qui travaille comme un artisan solitaire : ''Le black est un art très brut, du moins dans sa forme initiale, explique Willow. Il est très marqué par le phénomène « bedroom artist ». N'importe qui, avec un ordinateur, a la possibilité de faire chez lui du black de bonne facture. Bon, tout le monde ne peut pas faire du Hail Spirit Noir
Hail Spirit Noir


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dans sa chambre, mais maintenant tu peux composer sans beaucoup de matériel, ou sans savoir jouer de tous les instruments. Ce n'est pas une musique qui recherche la performance, comme le metalcore ou le thrash, qui sont composés dans une optique de live. C'est une musique qui est très personnelle, avec une large implication de la personnalité de son créateur.
'' Difficile d'imaginer comment le one-man project australien Regnans, par exemple, aurait pu parvenir aux oreilles des misanthropes du monde entier sans le média Internet. Et si ce nom ne vous dit rien, imaginez ce qu'il en aurait été dans les années 90, quand les groupes se créaient un réseau de contacts par échange de cassettes !



Internet constitue un réseau de diffusion sans précédent pour la musique, mais il permet aussi l'apparition de nouveaux groupes. Pour prendre un exemple moins obscur, Sojourner
Sojourner


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, dont le premier album Empires of Ash a sans doute été une des plus belles révélations de l'année passée en atmospheric black metal, est constitué de membres originaires de Dunedin, en Nouvelle-Zélande, mais la chanteuse du groupe, Chloe Bray, vit à Malmö, en Suède ! Sans l'outil de communication révolutionnaire qu'est Internet, Sojourner
Sojourner


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n'aurait probablement jamais pu voir le jour sous la forme que nous connaissons; il aurait été sans doute impossible aux membres de travailler ensemble.



Je crois avoir réussi ma démonstration: le nouvel âge d'or (noir) du black metal que nous avons la chance de vivre depuis quelques années doit beaucoup aux nouvelles possibilités d'expression qu'offre Internet. Ce réseau mondial de communication à permis à d'innombrables musiciens de mener à bien leurs projets et de les partager avec un large public. En ce début de XXIe siècle, le répertoire de black metal mis à notre disposition a pris des dimensions hallucinantes, ce qui peut sembler paradoxal pour un style souvent décrit comme peu enclin à l'ouverture. On pourrait imaginer que cela ne plait pas à tous les fans de black de la première heure. Andrea Giannelli, directeur de la programmation du Ragnard Rock Festival, a un point de vue assez nuancé sur la question: ''Aujourd'hui il est évident qu'Internet a donné une visibilité à des idées et à des projets qui n'auraient pas eu une telle portance sans le Web. Nous sommes un peu dans la même problématique que vers la fin des années 90, quand certains ont commencé à reprocher au black metal de trop s'ouvrir, et à considérer qu'il y avait trop de groupes qui travestissaient la doctrine du Metal noir. Je crois plutôt que nous vivons une sorte de renouveau. Est ce que c'est bien ou pas ? Je pense que chacun peut se faire son opinion en fonction de son attente du black metal, de comment il vit cette musique. Personnellement je pense que ce n'est ni bien ni mauvais, c'est comme ça qu'évolue la musique, et pas seulement le black metal. Plein de mouvements underground ont émergé ainsi. Internet nous a permis de découvrir des groupes de très bonne qualité qu'on n'aurait pas pu connaître sans cette technologie, il faut rester honnête. Ça a aussi fait émerger des groupes de merde, c'est vrai, mais fondamentalement, c'est comme pour tout : qu'est ce qui est merdique ? Le marteau ou celui qui le tient ?''

Tout comme les savants de la République des Lettres, les disciples du Malin profitent du développement des moyens de communication pour faire connaître leur art. Internet permet aux acteurs de la scène black metal mondiale de faire découvrir leurs œuvres au sein d'un cercle bien plus large que celui des quelques élus des origines. Les amateurs de black metal peuvent maintenant se sentir comme étant les membres à part entière d'un réseau international soudé autour de la même passion, via les chaines Youtube ou les Webzines, tandis que les musiciens ne dépendent plus tant des labels et des médias traditionnels pour diffuser leurs morceaux. Internet n'a pas pour autant changé l'esprit black metal; il lui a ouvert de nouvelles opportunités. Toutes proportions gardées, le développement du Web a été pour les musiques extrêmes un bouleversement digne de l'invention de l'imprimerie. Je n'irais bien sûr pas jusqu'à comparer la philosophie du black metal avec l'humanisme, ce qui serait de toute façon un autre débat. Encore que... Après tout, individualisme et liberté de pensée sont des idées présentes dans ces deux courants distants de plus de cinq siècles.
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AUTEUR : Matthias Bertrand
Journaliste fraîchement diplômé, et déjà désabusé, il a découvert la musique via de vieux vinyles de punk rock, avant de se convertir au metal...
Journaliste fraîchement diplômé, et déjà désabusé, il a découvert la musique via de vieux vinyles de punk rock, avant de se convertir au metal extrême. Comme il aimerait écrire sur ses passions musicales, et que les dinosaures de Rock&Folk ne se décident pas à mourir pour faire place aux jeunes, il a rejoint Shoot Me Again. ...
Journaliste fraîchement diplômé, et déjà désabusé, il a découvert la musique via de vieux vinyles de punk rock, avant de se convertir au metal extrême. Comme il aimerait écrire sur ses passions musicales, et que les dinosaures de Rock&Folk ne se décident pas à mourir pour faire place aux jeunes, il a rejoint Shoot Me Again. ...
Journaliste fraîchement diplômé, et déjà désabusé, il a découvert la musique via de vieux vinyles de punk rock, avant de se convertir au metal extrême. Comme il aimerait écrire sur ses passions musicales, et que les dinosaures de Rock&Folk ne se décident pas à mourir pour faire place aux jeunes, il a rejoint Shoot Me Again. ...
Journaliste fraîchement diplômé, et déjà désabusé, il a découvert la musique via de vieux vinyles de punk rock, avant de se convertir au metal extrême. Comme il aimerait écrire sur ses passions musicales, et que les dinosaures de Rock&Folk ne se décident pas à mourir pour faire place aux jeunes, il a rejoint Shoot Me Again. ...

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