Interview

LA MUERTE

L'idée que les gens disent ''c'est dommage'', c'est ce que je voulais finalement. Je ne voulais pas de ''ils feraient bien d'arrêter''.


Lundi 8 décembre 2025

A quelques jours à peine de la fin de La Muerte, programmée deux fois au Botanique de Bruxelles, nous avons discuté avec Didier ''Dee-J'' Moens, le guitariste, de l'histoire d'un groupe souvent décrié, tout autant adoubé, mais toujours authentique.

En 1983, Bruxelles n’était pas exactement un terreau pour un groupe comme le vôtre. Le rock et le métal y étaient encore sous representés je pense, ou peu mis en avant. Qu'en pensez-vous ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre naissance dans ce contexte ?

Didier : Avec Marc (du Marais, le chanteur, NDLR) on s'est rencontrés vers le mois d'octobre je crois. En 83, on a parlé pendant une soirée et ça a cliqué directement. Marc avait un passé tout à fait différent du mien. Moi je venais de la scène Post, Post Punk, New Wave, tout ça. Lui, il jouait déjà avec Marine, il avait déjà sorti des disques, donc on était sur deux divisions très différentes en fait. Et puis on a répété trois jours plus tard, on a joué pendant 1h30, avec un batteur d'emprunt qui venait rendre service. Et à vrai dire, il nous a traité de fous quand c'était terminé. Il nous a dit : ''vous avez fait du bruit, vous avez fait n'importe quoi''.

Oh, il comprenait pas quoi ?

Didier : Lui ne comprenait pas du tout et je pense que c'était un peu la mentalité générale à l'époque, quand on a commencé le groupe. Nous, on a décidé d'aller très vite, de ne pas attendre éternellement, de jouer partout et d'essayer d'avoir un deal quelque part. J'ai emprunté de l'argent et je pense qu'au mois d'avril, mai 84, on sortait le premier maxi, avec le vent de face partout, même au niveau de mon entourage. Mes amis trouvaient que c'était totalement irrationnel ce qu'on faisait. Ils pensaient que ça allait jamais marcher, que c'était du bruit. Nous, on avait la vision du truc et on savait qu'une scène existait, que ce soit en Australie ou en Angleterre, mais pas chez nous. Et on s'est dit : on va y aller, on va s'installer pendant six mois n'importe où en Angleterre, jouer un maximum. Et puis, dans six mois, ce sera fini, on aura fait ce qu'on voulait et on aura été jusqu'au bout. ça, c'était l'idée de base qu'on avait parce qu'on avait tellement d'opinions négatives autour de nous qu'on ne se voyait pas aller plus loin. A l'époque, l'Angleterre c'était la Mecque, la Mecque de la musique, du rock en général. Dés 76, 77, c'est là que tout se passait. De fil en aiguille, tout a été très vite au niveau de la presse internationale. On a eu des reviews incroyables... Du coup, la presse en Belgique a commencé à dire ''Ah ! Il y a quelque chose à creuser''. Gilles Verlan a dit ''je vous donne six mois pour devenir un groupe de renommée internationale'', ce qui est quand même un compliment assez assez dithyrambique, et audacieux pour l'époque. Et puis après, les six mois escomptés sont devenus dix ans...


Et au niveau de l'accueil du public en Belgique, comment ça s'est passé ? Enfin, vous aviez un public en Angleterre, j'imagine, mais quid de votre pays d'origine ?

Didier : J'ai l'impression que La Muerte
La Muerte


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, c'est ''you love it or you hate it''. Je veux dire, y a pas de juste milieu, on n'a pas de fans qui se disent ''j'aime certains morceaux''. Non, c'est tout ou rien, j'ai l'impression. On a vraiment des gens qui nous détestent et nous détesteront toujours quoi qu'on fasse. Et puis, on a une fanbase incroyable qui évolue avec nous et qui, quand on a grandi musicalement, a suivi le truc. Mais on a eu beaucoup de réactions très négatives en parallèle, et ça a perduré. Il y a toujours eu ce truc, cette folie et en même temps ce rejet d'une partie de la presse, d'une partie de du public, d'une partie de tout. Mais je pense que c'est ça l'apanage d'un groupe qui veut rester intransigeant, qui ne fait pas de concessions et qui garde sa ligne de conduite et sa musique telle qu'il la voit, sans arrondir les angles.

Et justement, tu viens de le dire, vous avez toujours souhaité rester authentiques. Qu'est-ce qui, malgré les changements de line-up, de musiciens, etc, a fait l'ADN de La Muerte ? Si aujourd'hui on doit résumer La Muerte, comment on fait ?

Didier : Je pense : intransigeance, égoïsme. Autosatisfaction. Crédibilité quoi. On est très crédibles et on est aussi toujours ''relevant'', comme on dit en anglais, dans ce qu'on fait. On ne s'est jamais intéressé aux modes qu'il y avait autour de nous. On faisait du stoner avant que le stoner n'existe, on faisait du grunge avant que le grunge n'existe, on faisait du noise rock avant que le noise rock soit vraiment implanté. Marc chantait déjà avec une voix gutturale alors que ça n'existait pas vraiment. Les gens trouvaient ça insupportable. Or, dès que les Slayer et consorts sont arrivés, que tous les groupes grind ont suivi... c'est devenu très commun. La perception a vraiment évolué quoi.



Vous avez arrêté une première fois en 94. Malgré les pauses, y a eu quelques retours sporadiques pour quelques dates si je ne me trompe pas, des moments un peu ponctuels on va dire. Est-ce que cette fois-ci c'est vraiment la fin de l'histoire ?

Didier : Oui. Il faut dire que c'est pas du tout le même contexte entre 94 et 2024. Si on s'est arrêtés en 94, c'est parce qu'on était épuisés. Physiquement, artistiquement. Intellectuellement peut-être aussi. A l'époque, il fallait qu'on marque le coup, qu'on s'implante bien, qu'on se fasse connaître... et donc l'idée c'était de faire trois albums en trois ans. Ce qui fait qu'entre 89 et 91, on a fait trois albums, trois tournées. Trois enregistrements, trois productions, trois pochettes, des clips, tout. On faisait beaucoup de choses nous-mêmes. Le merchandising, les t-shirts,... c'est là que j'ai découvert comment fonctionnait la sérigraphie, le montage des clips... A la fin, on était physiquement épuisés. Et artistiquement aussi, on avait sorti tellement de musique en très peu de temps qu'on a perdu l'envie. Par contre, en 2024, c'est un choix de ma part, personnel. Chronologiquement, j'ai Patrick Codenys de Front 242
Front 242


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qui m'annonce six mois avant l'annonce officielle qu'ils se séparent. Pour quelle raison ? Parce qu'ils auraient pu encore continuer dix ans quoi. Et ça a germé chez moi. Et je me suis dit : ''Je me demande si on doit pas faire ça aussi''. On est un groupe très physique sur scène, très sportif. Je ne me voyais pas régresser et continuer à jouer si un jour j'allais moins bien. Je pourrais citer des tas de groupes qui, pour de mauvaises raisons, sont toujours là. Par exemple, Scorpions
Scorpions


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, je m'excuse... ça fait deux ans qu'ils font leurs adieux, enfin, dix ans qu'ils font leurs adieux. On a une espèce de momie zombie qui chante sur scène, et ça, ça m'intéresse pas. Moi, j'ai un peu le syndrome Mohammed Ali quoi. Le match de boxe en trop, c'est ce qu'on retient de lui, même s'il a une carrière fantastique et qu'il a été plusieurs fois champion du monde. Et il s'en est pris plein la gueule. Moi, je veux terminer à un niveau singulier, le top quoi. On va garder cette image de qualité, à la fois sonore et physique.

Comment ça a été accueilli par les autres membres du groupe ?

Didier : Moi, ça a été plusieurs nuits blanches en fait, parce que c'est un choix, une décision qui n'a aucun sens. Qui n'est fondée sur rien parce qu'en fait, on s'entend bien, on s'amuse bien, les concerts marchent. On n'a pas de ''writer's block''. C'est irrationnel, y a aucune raison d'arrêter. Je leur ai dit : voilà ma vision des choses. Et après que j'ai expliqué le pourquoi, ils ont mis du temps, mais ils ont compris, je pense. Pour eux aussi, c'est peut-être une bonne chose quoi. Je leur ai dit : 2025 va être une super année. On a fait des trucs, des très chouettes trucs. On a joué dans de très chouettes endroits, dans des conditions toutes très différentes. J'ai dû un peu batailler pour vendre mon argument. Mais maintenant, tout le monde est derrière mon idée et a accepté.



Qu'est-ce que vous attendez de vos deux derniers concerts finalement ?

Didier : Ah je ne sais pas. Je ne sais pas ce que j'attends parce que hier soir à Paris, je ne m'attendais pas à ce qui s'est passé, malgré qu'on y ait déjà joué. Je ne m'attendais pas à la chaleur qu'on a eu hier soir. Du coup, je pense qu'à Bruxelles, ça va encore être la folie, même encore plus. Les gens qui te prennent dans les bras, qui te disent ''je suis venu de Guadeloupe pour votre concert'', qui me remercient... L'idée que les gens disent ''c'est dommage'', c'est ce que je voulais finalement. Je ne voulais pas de ''ils feraient bien d'arrêter''.

Et pour toi à titre personnel, c'est quoi l'après ? Tu es très investi dans la culture de manière générale je pense. Est-ce que tu as des projets qui se développent ?

Didier : On a presque tous, d'une manière ou d'une autre, des projets, ou des choses qui existent déjà. Moi, depuis l'arrêt en 94, j'ai commencé à faire de la production. Je suis toujours dans la musique, j'ai jamais fait autre chose que ça. J'ai la chance d'avoir une partenaire qui est très compréhensive. Elle a un très bon job et moi, je fais le clown avec des trucs artistiques. Kirby, lui, il a Wolvennest
Wolvennest


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, avec un album qui vient de sortir. Je suis d'ailleurs ce groupe de près vu que je suis leur ingénieur du son depuis le tout premier concert. Il joue aussi dans Length of Time
Length of Time


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avec Chris, notre batteur, que je mixe régulièrement aussi, donc on sait qu'on va pas se perdre de vue...

Avec La Muerte, on peut parler de la fin d'une ère. Quel héritage vous pensez laisser derrière vous, sur la scène alternative belge ?

Didier :
Vraiment ? Aucun. Dans les émissions spéciales de Studio Bruxelles ou en Flandres, quand ils sortent des playlists de l'année, des récap' d'artistes belges alternatifs, des tops 100... On n'est jamais dedans, tu vois ? On fait partie d'une subculture avec un public de subculture, toujours un peu à part finalement. On n'est pas médiatisés, enfin, pas énormément et à tous les niveaux. On reste dans une niche quoi. Et honnêtement je sais pas si on va laisser un héritage, j'en sais rien.

Et par ailleurs, par rapport à la scène métal belge actuelle. Vous l'avez vue évoluer, forcément, depuis vos débuts. Qu'est-ce que tu en penses ? De manière générale, qu'est-ce qui caractérise le métal ''made in Belgium'' ?

Didier : Moi, je suis un puriste. J'aime le rock'n'roll. Je prends un bête exemple. J'ai découvert Pearl jam
Pearl jam


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quand j'étais aux États-Unis. Fantastique. Puis Pearl jam est devenu énorme. Ça m'intéresse plus... J'aime bien quand ça reste une sorte de club secret, ou plutôt intime. Dans de petites salles, là où tu n'attends pas 10 000 personnes. Et j'ai l'impression que pas mal de groupes ici en Belgique, c'est ça qu'ils visent : la notoriété. Je sais pas, je suis pas trop fou de l'attitude ou de la mentalité de certains groupes aujourd'hui qui recherchent l'attention.

Oui, je vois. Perso, je pensais aussi à des groupes comme Villenoire
Villenoire


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ou My Diligence
My Diligence


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, qui restent très underground.

Didier :
Je vais pas inclure ce genre de groupe là-dedans. Je parle de groupes qui sont beaucoup plus connus qu'eux. Ils sont encore une sous-division des groupes belges, ils sont pas encore là où certains groupes sont en Belgique, comme Amenra
Amenra


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ou d'autres. Pour des groupes en devenir comme ça, c'est pas la même chose, j'ai pas le même ressenti.



J'ai une autre question par rapport à tout ça, mais au niveau de la politique et de la Belgique en général. Qu'est-ce-que tu penses de la manière dont la Wallonie, la Belgique, gèrent ces talents et la promotion ?

Didier : Je trouve que ça a mal évolué. Nous, on est de Bruxelles, donc on est un petit peu au milieu entre les Wallons et les Flamands. On a eu de la chance à l'époque. Je vais parler en deux périodes parce que je trouve que ça a fort changé. La première décennie, on jouait vraiment énormément en Flandre alors qu'on n'est pas un groupe flamand et on jouait assez bien en Wallonie, même s'il y avait moins de structure là-bas à l'époque. Mais je ne ressentais pas cette scission médiatique et la musique était encore assez universelle au niveau de la Belgique, tu vois ? J'ai l'impression que maintenant, si je reprends la décennie de maintenant, on a des groupes flamands, et des groupes wallons, c'est tout. Et les uns n'ont pas systématiquement la chance de facilement jouer de l'autre côté et vice versa, et je trouve ça très triste pour un petit pays comme le nôtre. Alors, on va même pas encore parler des aides de culture et tout ça que parce que je n'y connais pas grand-chose. Là aussi, je considère personnellement qu'il faut rester rock'n'roll. Je veux dire, c'est un truc qui doit rester humble. Ça doit être la débrouille, ça peut être subventionné évidemment, mais ça doit pas être la priorité. Un petit coup de main, c'est bien sûr le bienvenu. Mais nous, par exemple, on n'a jamais rien demandé à personne. Je veux bien admettre que c'est faisable pour certains, mais pas à grande échelle. ça doit venir du cœur et des tripes quoi.

Et qu'est-ce que tu conseillerais aux groupes émergents qui souhaiteraient quand même un petit peu se faire un nom finalement ?

Didier : Je vais parler pour ma crèche : n'écoutez personne, croyez en vous-même, en ce que vous faites. Je veux dire, si on avait commencé à écouter les gens, la presse et les premières reviews qui rentraient en Belgique, on aurait dû arrêter directement. Mais on savait qu'on aimait ce qu'on faisait, pourquoi on le faisait et comment on le faisait, et le fait qu'on y ait cru nous-même, c'était très important quoi. Certains sont prêts à se sacrifier pour la célébrité, et d'autres se laissent complétement découragés. Tu fais du fitness pour ton plaisir, tu vas aussi devoir payer un abonnement. Donc : Si tu fais de la musique, si c'est ton plaisir, tu dois investir dedans. Encore un exemple : si tu fais du cyclisme, tu dois acheter un vélo. Un plaisir se paye, tout simplement. Si toi t'es convaincu que c'est bon, il faut arriver à convaincre les autres mais faut pas baisser les bras.

J'ai une dernière question un peu plus générale pour clôturer. Qu'est-ce que tu aimerais faire passer comme message à tes fans à l'aube de la fin de La Muerte ?

Didier : Nous, on parle souvent de disciples plutôt que de fans, parce que c'est un peu comme ça qu'on le ressent. Y a des gens qui ont le nom du groupe tatoué sur eux et des choses comme ça. Ces gens-là, on a fait partie de leur vie et je n'ai pas de message particulier si ce n'est qu'on apprécie vraiment leur passion. A Paris vendredi soir, on a reçu énormément d'amour et on n'a pas l'habitude. On n'est pas le groupe le plus communicatif sur scène. On balance les coups et puis on sort de scène quoi. On n'est pas du genre à beaucoup se mêler avec le public ou à parler avec lui. On a fait tomber ce mur pour quelques heures. Ça fait chaud au coeur et ça m'émeut beaucoup. J'ai l'impression que là, on a poussé le bouchon le plus loin qu'on pouvait.

Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter pour la suite ?

Didier :
Restez vivant (rires).

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