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Pourquoi presque toutes les brasseries organisent des concerts ?

Lundi 24 juillet 2023

Je suppose que vous avez remarqué aussi que les concerts se déroulent de plus en plus dans des brasseries. Peut-être parce qu’il y a de plus en plus de brasseries et microbrasseries en Belgique. Peut-être aussi parce que les bières artisanales ont le vent en poupe depuis plusieurs années. Peut-être encore parce que l’offre de concert post covid est toujours très élevée. Peut-être que je suis complétement à côté de la plaque. Bref, cette situation m’a interpellée et j’ai creusé un peu.
Petite précision, le sujet de cet article n’est ni l’alcool ni sa consommation mais bien pourquoi et comment la musique et les brasseries ont l’air de bien matcher.




De l’espace disponible

Une brasserie est souvent un espace où, entre les cuves, les pompes et les bouteilles, plusieurs mètres carrés sont libres ou peuvent l’être assez rapidement avec un peu de rangement. Certaines peuvent accueillir une centaine de personnes et d’autres près de 400. Cosy, charmant, atypique, surprenant, une des caractéristiques des brasseries est le cadre original.

« Cet espace disponible est une belle occasion d'en faire profiter les artistes et les clients, explique Nacim Menu de la brasserie l'Ermitage (Bruxelles). Nous sommes tous de grands fans de musique alternative et nous sommes très heureux de pouvoir proposer une offre dans notre lieu de travail. De plus, notre quartier manque cruellement de lieux culturels et musicaux. »

Rémy Perée de la brasserie Misery (Harzé) est également de cet avis et me confie devoir faire face à l'apathie de la vie culturelle locale. « Il se passe peu de choses près de chez nous, ajoute-t-il, ou alors dans des styles très éloignés des nôtres. On a créé ici un espace de rencontre pour notre village et notre communauté. » Il trouve aussi que la petite taille du lieu crée une proximité très forte entre le public et les artistes.

Axel de Ville de la brasserie illegaal (Bruxelles) pense lui qu’il y a trop de salles de concert qui se ressemblent, des salles sans cœur, ni âme. « Il y a des pays ou chaque bar est un lieu culturel, précise-t-il, une salle de concert, un lieu d’expression. Il faut juste s’adapter pour rendre sa salle de concert unique et vraie. »



À Bruxelles, il y a une grande diversité de lieux pour organiser des concerts. Cela ne divise-t-il pas le public ? « C'est un peu le jeu de l'organisation de concerts, répond Julien Duquesne de La Source Beer (Bruxelles). Il y a beaucoup d'offres, énormément de groupes en tournée ou qui cherchent à jouer. » Pour en revenir à l’organisation de concerts, il n’y a pas de couvre-feu à La Source Beer. « Donc, chez nous, ce n’est pas la course comme ça peut l’être ailleurs, poursuit Julien. On a envie que le public se sente bien chez nous et on a envie de le rencontrer, ça crée du lien. »

L’offre de produits artisanaux

Les brasseries ont également une autre particularité, c’est celle de l’artisanat, du local, du circuit-court.
Axel de Ville de la brasserie Illegaal confirme que sa plus-value par rapport aux autres lieux de concert c'est l’offre de produits artisanaux, essentiellement fabriqués sur place. « Nous sommes souvent très déçus de voir l'offre de boissons dans les salles de concerts majeures, poursuit-il.

« Ni la Fédération Wallonie-Bruxelles ni la Flandre ne met en avant les producteurs locaux dans les salles subsidiées. »

Nous mettons un point d'honneur à accueillir les artistes avec un catering de qualité. Lier l’artisanat, la culture, le social est notre ambition première. »



À la brasserie Misery, on est également très attentif à proposer des produits de qualité au public. « Ce qui permet au public de passer une soirée ''complète'', dit Rémy Perée, à la différence de l'offre proposée par les centres culturels, etc. Il n'y a pas que les artistes qui sont indépendants ici, les producteurs alimentaires aussi ! ».

À La Source Beer , toutes les bières vendues au bar (exceptée une) sont évidemment brassées sur place. Pas d'intermédiaire. Julien Duquesne et son équipe travaillent aussi à créer un lien entre la bière et les projets musicaux qu’ils reçoivent. Il développe : « On essaye à chaque fois de faire au moins une bière par soirée concert. Elle est souvent liée à un projet en particulier à partir duquel Mathieu développe une recette en lien avec un morceau ou un album. On essaie de rendre ça cohérent.

« Ca nous permet de booster notre créativité côté brasserie en proposant des sorties exclusives lors des concerts. Une façon de boucler la boucle. »

Un minimum d’investissement

Les artistes rencontrés me disent apprécier jouer dans ces lieux qui ajoutent des possibilités de prestation non négligeables dans un secteur super chargé. Ils précisent qu’il n’y a aucune différence avec une salle prévue pour. Cependant, un minimum doit être garanti au niveau des équipements et de la sonorisation.
Les membres de The Badgers
The Badgers


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, par exemple, reconnasenit que jouer dans une brasserie c’est un peu plus « home made » et qu’il faut parfois faire face à des aléas et se débrouiller avec les moyens du bord. Guillaume Fraiteur, membre de The Badgers se souvient : « Dans une brasserie où nous avons joué, il n’y avait pas assez d’entrée dans la table de mixage. On n’a pas toujours autant de retour qu’on le souhaiterait sur scène. Ce n’est pas dérangeant pour s’éclater, c’est même plutôt cool. Le revers de la médaille c’est que le son peut en pâtir et qu’on passe pour encore plus amateur que ce qu’on est. Mais c’est toujours hyper convivial, hyper cool et ça s’y prête. »


Crédit photo: The Badgers

Pablo Fleury de Slamino
Slamino


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ajoute que d'un point de vue technique, l'artiste doit être au courant des conditions du lieu qui peuvent être limitées et vice versa. Il précise également que la brasserie, comme tout autre endroit de concert, doit s'assurer de pouvoir offrir au groupe le nécessaire technique pour son live et éviter les mauvaises surprises. Pablo poursuit : « Les quelques microbrasseries bruxelloises où j'ai eu l'occasion de jouer sont des lieux connus du public local.

« En plus de brasser d'excellentes bières, elles développent une image de marque qui allie passion, créativité et débrouille. Ça se goupille bien avec l'offre musicale alternative !

Je dirais même que tout le monde a à gagner de développer un terreau propice au live que ça soit en salle, en festival, en MJ, dans des cafés, des fêtes de villages. »

Gaultier Baclin de One Hour
One Hour


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a lui aussi apprécié de jouer dans une brasserie car cela offre une ambiance plus intime et chaleureuse avec une proximité entre le groupe et le public. « Nous avons particulièrement apprécié jouer parmi les cuves, sur le bar et même sur les tables, précise Gaultier, ce qui a créé une atmosphère unique et immersive. Il y a de nombreux lieux de concert mais les établissements comme les brasseries sont précieux pour soutenir les artistes locaux et offrir des expériences uniques au public. »

La musique ne doit pas être un produit d’appel



Chez Adolina, on trouve aussi que c’est une bonne chose de pouvoir se produire dans des brasseries mais Olivier Jacques, chanteur guitariste, attire mon attention sur le fait que le but doit rester la musique et ne pas être un produit d'appel. « Dans ce cas, poursuit-il, cela risque de moins bien se passer.

« Proposer à un groupe de jouer demande un minimum d’investissement. Peu importe le lieu tant qu'il y a de l'électricité, un peu de matos et surtout une grosse envie de faire la fête. »

Parfois, tu joues dans une grosse salle connue et bien remplie et c’est pas top, parfois tu joues dans un lieu incongru devant 25 personnes et c’est parfait. On apprécie beaucoup ce côté imprévisible. »

Martin Simoens de Mr Fartface
Mr Fartface


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est également bien conscient que jouer dans une brasserie implique une relation différente avec le public qui ne vient parfois pas pour écouter de la musique. « La brasserie ne nous booke pas que pour notre musique, développe Martin, il est clair que cette ambiance festive, surtout dans notre style, fait tourner le bar et remplit justement les poches de l'organisation. Dans une Belgique de plus en plus enfermée dans un cycle de copinage où les noms se ressemblent affiches après affiches (particulièrement en Wallonie), il est bon d'avoir un plan B et d'avoir des organisateurs qui proposent de la découverte plutôt que du confort. »
Le groupe prend en compte la réalité de l’endroit dans lequel il va jouer pour éviter de ramener un lightshow de festival et un set complet d'in ear avec un métronome dans une brasserie avec quinze personnes. « C'est ça qui est excitant, pouvoir s'adapter et proposer un show de qualité sans de grands moyens et c'est là qu'on essaye de travailler un max, les limites boostent notre créativité », conclut Martin.


Crédit photo: Louise De Maet

Des concerts gratuits organisés par passion

Par rapport aux salles de concerts, centres culturels, etc., l’entrée à l’Atrium est gratuite. « Bien sûr que nous sommes contents de faire venir les gens afin qu’ils goûtent aussi nos produits, me confie Valery De Breucker de la brasserie Atrium (Marche). Mais ce n’est pas la finalité ultime car, honnêtement, les bénéfices des concerts ne sont pas très hauts. Il faut payer les groupes et nous sommes dans une petite ville.

« Les samedis concerts sont plus pour le patron (moi ! ) que pour faire du bénéfice et la pub de la brasserie. »

Au niveau des équipements, Valery me confie que la brasserie n’est pas encore équipée. Les groupes viennent avec leur sono. La volonté était d’acheter une sono l’année passée mais le projet a été reporté à cause de la guerre en Ukraine. Il devrait se concrétiser prochainement.

Rémy Perée de la brasserie Misery complète en me disant que ce n'est clairement pas par facilité qu’il organise des concerts mais par passion. « Organiser des concerts nous ramènent plus d'ennuis que de bénéfices. Surtout les premières années. Pas de subside, pas de soutien communal, voisinage indifférent ou hostile à l'idée même d'événements culturels, quel qu'en soit le type. Nous n'avons pas besoin de la musique pour écouler notre production. Entre le cachet, les frais d'agences, la Sabam, la location du matériel musical, etc. on gagne mieux notre vie sans organiser de concerts, on le fait parce qu'on aime ça ! »

Un public séduit autant par l’affiche que par l’ambiance

Pour terminer j’ai demandé l’avis à deux habitués des concerts en brasserie. Saïd Al-Haddad qui y va surtout parce que l’affiche l’intéresse ou pour accompagner des amis. Il note une différence : le prix des boissons. « Le local et l’artisanal seront souvent plus chers qu'une chope d’une grosse enseigne, m’explique-t-il. Mais c'est aussi un soutien à des artisans. En espérant que les salles de caractère ne soient pas supplantées par les brasseries, car une salle dédiée aura toujours un feeling différent qu'une taproom avec une scène. »

Anne-Sophie Igot aime aussi les concerts dans les brasserie, pour la musique mais pas que. « Dans les brasseries, l’ambiance est conviviale, dit-elle, et je vais autant pour ça que pour les concerts. Parfois je ne regarde pas vraiment le concert, ça dépend du groupe. Je peux boire un verre, bavarder et fumer tranquille tout en ayant un fond musical et en plus l’entrée est gratuite. »

Voilà qui referme cette réflexion autour des brasseries comme nouveaux lieux de concert. Si, au départ, la réunion de ces deux univers peut paraître étonnante voire contre-productive, il s’avère, au fil des échanges, que la situation est beaucoup plus nuancée. Derrière la mousse et le houblon se cachent de la passion et une envie de soutenir le savoir-faire, celui des musiciens comme des producteurs.
Les brasseries offrent une possibilité aux musiciens de faire du bruit et, le plus souvent, à la scène locale de s’exprimer. Tout bon.

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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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