Article

Adrien Durand : « La musique triste et ultra-mélancolique m’aide à me sentir bien et équilibré''

Jeudi 15 mai 2025

Et si la musique triste procurait une forme d’équilibre ? Adrien Durand (auteur et éditeur français) en est convaincu. Avec « Je n’aime que la musique triste », recueil d’essais personnels réédité en version augmentée, il interroge le pouvoir cathartique de la mélancolie sonore, le rôle de la musique dans la mémoire, et l’importance des voix indépendantes. Rencontre avec un homme qui préfère l’intime au formaté, le DIY au marketing.



Bonjour Adrien. Comment vas-tu ? Peux-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas ?
Je vais pas trop mal je crois! J’ai 42 ans, j’habite à Bordeaux et je travaille dans la musique depuis 20 ans maintenant (oups) où j’ai exercé pas mal de boulots différents (organisateur de concerts, tourneur, attaché de presse) avant de bifurquer vers l’écriture et l’édition il y a quelques années. Je m’occupe désormais d’une maison d’édition qui s’appelle Le Gospel qui publie livres et zines et j’écris aussi des essais, des romans et de temps en temps des articles.

En 2021, tu sors, aux éditions Le Gospel, un recueil autobiographique intitulé « Je n’aime que la musique triste ». Peux-tu revenir sur la genèse de ce livre et nous en dire un peu plus sur son contenu ?
Je n’imaginais pas trop faire un livre au départ. J’ai écrit ces chroniques très vite (en 15 jours je crois pendant que j’étais au Pays Basque et qu’il pleuvait des cordes) et puis le titre m’est venu. Je n’avais pas envie de passer des mois à chercher une maison d’édition, donc je l’ai simplement fait mettre en page par mon talentueux ami Romain Barbot (qui joue aussi dans Saåad
Saåad


Clique pour voir la fiche du groupe
et Foudre
Foudre


Clique pour voir la fiche du groupe
) et fait imprimer sur Internet. C’est arrivé à un moment où j’étais un peu à la croisée des chemins côté écriture, je ne me retrouvais pas dans les propositions de piges musicales et j’avais envie de faire un truc plus créatif et littéraire qu’un essai classique.

« Donc j’ai lancé ça en mode DIY total, juste pour le plaisir, avec l’idée de circonscrire un peu ce gros paradoxe : la musique triste et ultra-mélancolique m’aide au quotidien à me sentir bien et équilibré. »

Qu’est-ce qu’une musique triste ? Est-ce une question de paroles, de son, d’attitude ou d’autre chose ?
C’est une question complexe. Pour moi, c’est plus une façon d’aborder l’écoute de la musique en général et une sorte de rencontre assez impalpable entre des souvenirs, des humeurs et les chansons en question. Un truc très très subjectif mais partagé je crois par d’autres gens. Je suis très intéressé par les questions de mémoire et de reconstruction des récits personnels, et ça illustre très bien les fictions qu’on se raconte chacun au travers de l’art (musique, cinéma, livres, etc.)

As-tu en tête des morceaux ou albums emblématiques de musique triste ?
Je dirais plutôt un axe qui partirait (pour moi qui n’écoute quasiment que de la musique anglophone) de la folk et de la country pour aller vers la new wave, le grunge, le hardcore puis certaines esthétiques rap ou techno. Je te donne mon top 3 du moment : Have A Nice Life
Have A Nice Life


Clique pour voir la fiche du groupe
« Deathconsciousness », Mazzy Star « So Tonight That I Might See » et Echo & The Bunnymen
Echo & The Bunnymen


Clique pour voir la fiche du groupe
« Ocean Rain »


Crédit photo : Marine Neglot

Qu’est-ce qui t’a poussé à ressortir ce projet, aujourd’hui, sous une forme augmentée ?
Pas mal de gens me le demandaient et je suis toujours partagé entre l’idée que c’est chouette d’avoir des objets limités, un peu volatiles et le fait que ça me fait plaisir d’être lu. J’avais peur de me relire donc j’ai décidé de ne pas éditer les textes originels mais plutôt d’en ajouter de nouveaux.

Dans ce livre, tu développes une réflexion par rapport aux notions de bulle personnelle et d’échappatoire sonore. Peux-tu expliquer ce que ces idées représentent pour toi ?
Je suis de manière générale très attiré par les esthétiques « immersives » (un terme complètement dévoyé de nos jours) que ce soit des choses folk très minimales ou des musiques plus enveloppantes type shoegaze par exemple. Ces dernières années, j’ai dû déménager loin de la ville où je me sentais bien, me retrouver dans un milieu un peu hostile parfois et la musique m’a beaucoup servi de refuge. J’ai renoué avec mon adolescence où je cherchais une zone un peu protégée. Je pense que c’est important cette notion de spatialisation émotionnelle, ça permet aussi de développer une autre modalité d’écoute qui n’est pas juste de la consommation pure comme l’encourage désormais les plateformes de streaming par exemple.

Est-ce que tu fais une distinction entre écouter de la musique triste pour fuir une réalité ou au contraire pour mieux l’habiter et la comprendre ?
Ça dépend des jours (rire). Il y a un texte dans la nouvelle version qui parle de ça : le fait qu’il y a des disques ou des morceaux qui t’emmènent si loin qu’il est difficile ensuite de revenir. C’est assez fascinant de penser à cette puissance mais en même temps en vieillissant on perd souvent le droit de perdre pied avec la réalité.

Pourquoi la musique triste touche autant de monde ? Et pourquoi semble-t-elle particulièrement liée à la création artistique et personnelle ?
Il y a de nombreuses hypothèses, de la plus poétique à la plus pragmatique.

« Celle qui me semble assez juste c’est que la musique triste accroît le sentiment d’importance de certaines situations, ajoute un marqueur dans notre mémoire. »

Je pense que c’est ce qui fait que l’adolescence est une période aussi clef aussi dans notre vie : un moment où on s’abandonne à nos émotions (où on y est désormais autorisé la plupart du temps) et où on essaie de chercher des réponses dans des choses abstraites et créatives, sans penser trop de manière cartésienne ou raisonnable.

Ton livre reprend également des textes publiés dans des zines épuisés et des sites disparus. Que dit la disparition de ces sites/zines de la mémoire culturelle indépendante ? Et comment lutter contre cette forme d’oubli ?
Je suis assez partagé sur la question. Je ne suis pas du tout pour la muséification des choses et encore moins de la culture punk, underground, etc. Fat Mike de Nofx qui fait visiter le musée du punk à Las Vegas, quelle déprime. Il n’y a jamais d’oubli total, les zines, disques, livres, en tant qu’objets physiques ont cette immortalité là à la différence du digital. En même temps, je trouve ça important qu’il existe des archives et ressources en ligne pour faire vivre la culture.

« Je dirais que l’idéal se niche probablement entre les deux parce qu’un parcours esthétique ne peut pas se construire en deux après-midis, des fiches Wikipédia et une playlist pour les débiles sur Spotify. Il y a plein de gens de la nouvelle génération qui font des zines, des cassettes, des livres, c’est enthousiasmant. »


Crédit photo : Romance Durand

Pourquoi avoir choisi une micro-édition en tirage ultra limité ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans le DIY et la micro-édition ?
Ce livre est un projet de niche et j’en ai déjà vendu 1000 exemplaires de la main à la main la dernière fois, donc je ne pense pas décrocher le best-seller de tous les temps.

« Et puis, encore une fois, j’aime bien cette culture de l’objet intime, pas forcément facile à trouver qui ne sera pas dans un centre Leclerc entre Philippe Manoeuvre et Nicolas Bedos. »


Ce qui me plaît, c'est la liberté totale de création. Un jour tu te lèves, tu écris une chanson ou un texte et tu te retrouves diffusé dans le monde extérieur, c’est super grisant. Les industries culturelles sont de plus en plus trustées par les gens issus de milieux aisés, nepo babies et autres technocrates de l’art formés dans des bullshit schools. C’est crucial qu’il y ait encore une alternative et des voix autodidactes et dissonantes.

Que penses-tu d’un webzine de musique et culture alternatives comme Shoot Me Again ?
Je suis toujours admirateur et client de la culture webzine. J’ai moi-même bossé pour des médias de ce type et je sais combien ça demande du temps, de la passion et de l’abnégation. Pour moi, on fait tous partie du même microcosme (labels, musiciennes, musiciens, médias, orgas de concerts indés) et je trouve ça d’autant plus navrant quand certains l’oublient ou se comportent avec une forme de snobisme. Les artistes qui râlent sur le fait de ne pas avoir de presse sans jamais lire ou soutenir les médias indépendants de musique, vous faites partie du problème, sortez la tête de votre cul autocentré (et des stats de vos réseaux sociaux).

Peux-tu nous parler du label Gloom ? Que peut-on espérer du label Gloom pour la suite ? D’autres textes, d’autres formats ?
C’est juste une petite étiquette pour des objets de ce type sans prise de tête commerciale ou autre. Aucune idée, on verra bien !

Si tu veux ajouter quelque chose, c’est le moment!

Merci à toi !

« Je n’aime que la musique triste »
Editions Le Gospel
Environ 350 pages, format livre de poche.
Sortie en juin 2025.
14 euros.
Précommande : https://legospel.bigcartel.com/product/je-naime-que-la-musique-triste

TU AS AIME ? PARTAGE !
Google +
Twitter
Facebook
Whatsapp
E-mail
E-mail
Google +
Twitter
Facebook
AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

► COMMENTAIRES

Tu dois être connecté pour pouvoir commenter !

Soit en deux clics via Facebook :

image

Soit via l'inscription classique (mais efficace) :

image

► A VOIR ENSUITE