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Préventes : bien plus qu’un ticket

Dimanche 9 novembre 2025

Acheter sa place à l’avance : réflexe moderne ou contrainte déguisée ?
Aujourd’hui, la survie d’un concert semble parfois se jouer avant même le premier riff sur scène. Les préventes rassurent les organisateurs, sécurisent les budgets et peuvent faire peser une nouvelle pression sur les groupes et le public.
Shoot Me Again a réuni plusieurs avis de la scène alternative pour en savoir plus.





Côté groupes : La valeur d’un groupe ne se résume pas au nombre de préventes vendues

Pour entrer dans le vif du sujet, rien de tel qu’une chanson qui parle… des préventes elles-mêmes. Avec « Don’t Bend (My Friend) », Michael Goffard d’It It Anita
It It Anita


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pose un constat lucide et amer sur une scène où le succès semble désormais se mesurer au nombre de billets vendus avant même que la première note ne résonne. « The only thing that matters is pre-sales. It’s not about music, it’s about pre-sales », dit la chanson. Ces mots résument à eux seuls l’état d’esprit d’une industrie post-Covid qui a vu la prévente devenir la reine. Michael raconte : « Un évènement était annulé s’il n’y avait que 20 ou 30 réservations. Nous avons déjà eu des concerts annulés par manque de préventes. On a parfois l’impression qu’on nous fait une fleur en nous proposant de jouer. »
Au-delà de la simple billetterie, c’est tout un système culturel que le musicien remet en question : « La culture est de moins en moins subsidiée, surtout les petites structures indépendantes. Restons curieux, ne nous cantonnons pas à ce qu’il y a à la radio. Le formatage des events est naze. »



Simon Rosenfeld de Virgin Prozac explique qu’il garde un œil sur les préventes des futurs shows car personne ne veut jouer devant une salle vide. Il ajoute : « On a une vue d’ensemble sur l’affluence d’un show, donc on peut prévoir l’énergie et aussi l’argent à investir en publicité. »
Simon complète son propos en disant que le travail de promotion d’un événement ne doit pas reposer uniquement sur la salle ou les organisateurs. « C’est un travail d’équipe que tout le monde doit prendre au sérieux, dit-il, de l’orga à la tête d’affiche, en passant par l’opening. Tout le monde doit collaborer pour la réussite de la soirée. »

Du côté de Villenoire
Villenoire


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, Ioan Kaes confie qu’un orga ne lui a jamais demandé de booster les préventes parce qu'une date ne se remplissait pas ou pas assez. Il explique que Villenoire fait, jusqu’à maintenant, beaucoup de premières parties et qu’une vente insuffisante de préventes est rarement un signal qu'il peut projeter sur son groupe.
Il ajoute : « Des mauvaises préventes ont d'abord un effet sur la possibilité pour des groupes émergents de se montrer car en cas de mauvaises préventes, les promoteurs vont souvent prendre la décision de ne pas ajouter des frais et/ou des soucis de production. Donc nous pensons qu'une bonne réputation live entraîne une certaine confiance au niveau des programmateurs et donc dans leur choix de te mettre à l'affiche ou non. »

Logan Dandois (Nhope)
Nhope)


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complète en expliquant que la valeur d’un groupe ne se résume pas au nombre de préventes vendues mais à l’énergie et au lien créé avec le public. Cela peut refléter une certaine popularité, m’explique-t-il, mais ce n’est pas une mesure absolue. « Au sein de la scène, ajoute t-il, les gens peuvent acheter leur ticket en dernière minute. Par exemple, t’as passé une mauvaise journée au boulot, t’envoies un message à un pote pour t’accompagner à une soirée au MCP et let’s go (rires). Je pense donc que les préventes doivent être perçues comme un outil logistique et non comme un jugement de valeur vis-à-vis de l’affiche. »
Nhope
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évite de se mettre la pression avec des éléments extérieur et garde à l’esprit que l’important reste le live. « On garde toujours en tête qu’on doit délivrer le même show devant 5 ou 50 personnes », conclut Logan.



Côté organisateurs : Une vue sur la participation du public

Pour Xavier Legrand (La Torgnole) qui a récemment organisé la première édition du Liège Hardcore Summer Fest, les préventes sont un outil de gestion essentiel. « Oui. Ça permet d’avoir une vision sur la participation du public et d’augmenter le cash-flow avant l’évent. » Son constat est clair : 75 % des entrées ont été vendues en prévente sur son dernier gros événement et ce chiffre lui a permis de calibrer la logistique (bénévoles, sécurité, matériel), avant le jour J. Mais il note aussi une tendance inquiétante : « Les participants tendent à attendre de plus en plus le dernier moment avant de prendre leur prévente. »

Pour Ben Zoulk (Magasin 4 / Belvédère), la prévente est avant tout un outil de planification qui permet d’avoir une vue sur le monde qui pourrait venir et de prévoir l’organisation en conséquence. En moyenne, il estime 60 à 70 % des ventes en préventes, contre 30 à 40 % à la porte. Ben ajoute : « Il faut différencier les concerts underground avec des artistes découverte et les concerts plus commerciaux. Les premiers sont les plus durs à vendre. C’est rentable dès qu’on intègre les frais liés aux préventes dans le coût global. De toute manière, avec le cashless, il y a des frais à la porte aussi. »

« Pas toujours pertinent, surtout pour les petites dates »

Hadrien Panelli (PopKatari) ne passe pas systématiquement par la case préventes. « Pour un concert entre 8 et 10 euros, dit-il, ce n’est pas super pertinent. Il y a une perte de 10% en faveur de la plateforme. » Hadrien réserve les préventes aux soirées plus importantes ou quand des fans viennent de loin. Il précise : « Ça rassure ceux qui ne veulent pas rater l’événement. Si c’est de la découverte, presque personne n’achète à l’avance. Les gens sont prêts à mettre de grosses sommes pour des gros groupes, mais pas de petites pour des petits. »

Pullet Rocks, collectif bruxellois DIY et non subventionné, n’a jamais eu recours au système de préventes, l’entrée étant bien souvent à prix libre. « Si j’organisais un concert de plus grande ampleur avec des frais conséquents, poursuit Anne-Sophie Sonnet, j’utiliserais certainement un système des préventes. D’un côté pour me rassurer de l’intérêt du public pour ce que je propose, mais aussi pour l’aspect pratique de la chose. Je crois que beaucoup de personnes sont habituées à ce système. J’ai d’ailleurs vu récemment un groupe encourager activement ses fans à prendre des préventes, simplement pour s’assurer de pouvoir lancer leur tournée. Cela impacte donc aussi les artistes eux-mêmes. »



Côté public : Entre stress et liberté

Pour Carol, les plateformes de billetterie n’ont pas toujours rendu service aux fans. « Les organisateurs préfèrent qu’on prenne tout en prévente, dit-elle, mais ce n’est pas toujours aussi simple. Parfois, il faut se décider vite, les sites plantent, ou les bonnes affaires partent en quelques minutes. Pour eux c’est une sécurité, pour nous, c’est une source de stress. »

Mathieu, lui, trouve normal de prendre sa place à l’avance, surtout pour aider les petits orgas. Mais il m’est déjà arrivé que le site plante ou qu’il faille créer trois comptes pour acheter un ticket à 15 euros. « À force, ça décourage, dit-il. Si c’est plus simple d’acheter à la porte, je préfère. »

David est fidèle à la vieille école. Il ne prend sa place en avance que pour un concert qu’il ne veut surtout pas rater. Sinon, il attend le jour J et voit selon sa motivation et ses moyens financiers.

Sophie se souvient qu’il y a dix ou quinze ans, on décidait d’aller à un concert au dernier moment, parfois en sortant du boulot. Elle ajoute : « Aujourd’hui, tout doit être prévu, payé, validé à l’avance. Je comprends que les orgas en aient besoin, mais on perd un peu la spontanéité. Et c’est dommage, parce que c’est souvent ces soirées-là qui sont les meilleures. »

La prévente serait-elle devenue le nouveau totem d’une scène qui s’auto-évalue avant même de vibrer. Si elle rassure les orgas, elle rogne aussi un peu sur ce qui faisait la magie du live : l’imprévu, le hasard, le « tiens, et si on y allait ? ». À chacun désormais de décider s’il veut jouer selon les règles du système ou continuer à miser sur la curiosité et la passion.
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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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