Interview

COILGUNS

De l’allégresse dans le chaos !


Mercredi 24 septembre 2025

Né en Suisse dans le fracas du hardcore DIY, COILGUNS
COILGUNS


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sculpte un chaos incandescent où punk et noise-rock se fondent en transe. Porté par le label Humus Records de son guitariste Jona Nido - véritable vivier de talents suisses - le groupe a quitté l’autoproduction le temps d’un été pour enregistrer, en Norvège, son quatrième album Odd Love, petite pépite sortie en novembre 2024, sur lequel le groupe de La Chaux-de-Fonds affine son art du chaos organisé. Sur scène, le quatuor déchaîne une énergie brute et euphorisante, taillée pour bousculer autant les corps que les esprits. A deux heures de la déferlante à L’Entrepôt Arlon, on s’est assis aux côtés de Jona et des trois autres – Kévin, Louis et Luc - jamais loin en embuscade. Plongée au cœur de cette rencontre où chaque propos reflète chaleur et authenticité.




Bonjour Jona. Comment ça va ?
J : Ça va. Il fait beau aujourd’hui, on va faire un concert de rock et ça, on aime bien. Et toi ?

Impeccable. Je suis devant un groupe pour qui j’ai beaucoup de respect. Donc je suis légèrement intimidé aussi...
J : Mon dieu ! Il ne faut pas. Merci, c’est gentil de prendre le temps.

On ne va pas faire l’histoire de Coilguns ici, mais comment décrirais-tu le groupe à quelqu’un qui vous découvre à la suite de votre album Odd Love, paru en fin d’année dernière ?
J : Je suis très mauvais pour définir ce qui pourrait faire comprendre des choses à des gens. Mais Coilguns, c’est un groupe punk avec un discours assez engagé, dont le but est de permettre aux gens qui viennent aux concerts de transpirer tout ce qui se passe de pas cool dans le monde pendant l’heure qu’on partage ensemble. En gros, c’est un groupe de rock qui, de prime abord, fait un peu peur et semble un peu sombre, mais qui, en définitive, ne fait que diffuser un message d’amour et aime les câlins d’après concerts. Donc, tout le monde ressort avec un grand sourire.

Même avant les concerts !
J : C’est vrai...

Vous étiez à Maastricht en festival hier et vous enchaînez avec deux clubs bien implantés en Wallonie. Quel est votre état d’esprit avant ces deux concerts ?
J : On est trop content de jouer dans cette région. A travers les années, on a joué plusieurs fois aux Pays-Bas et en Belgique, mais plutôt dans des endroits discrets et peu fréquentés. Il n’y a pas grand monde qui voulait nous voir à ce moment-là. Les gens viennent depuis qu’on a sorti notre nouvel album. En Belgique, nous avons vu une grosse différence, notamment en février à La Source qui était quasi pleine. C’était une belle surprise car deux ans avant, au Botanique, il y avait 50 personnes. Je pense que c’est la première qu’on refait en club depuis février. On découvre l’Entrepôt, hyper beau et qui a la taille parfaite pour accueillir un concert de Coilguns. S’il y a 100 personnes ce soir, je pense que ça va être le gros bordel ! Euh pardon... la grosse fête des câlins !

Qu’est-ce qu’il a de spécial cet album pour que, tout d’un coup, les gens se disent que vous existez ?
J : C’est une bonne question. S’il y a bien un truc sur lequel on n’a pas de contrôle, c’est comment les gens nous reçoivent. On a fait un tas de trucs pour casser nos propres codes et parler à un public plus large. Disons qu’on devient un peu plus vieux et faire de la musique pour les intégristes cinquantenaires du noise rock, c’est cool mais ça nous intéresse de jouer devant un public différent de nous, de partager notre musique avec plus de monde.

On s’est demandé comment rendre notre musique plus lisible pour un plus grand nombre sans pour autant écrire des morceaux putassiers.

Avec une longue réflexion qui nous a amené à changer un tas de trucs, de la façon d’enregistrer jusqu’à l’image. Avant, on utilisait des illustrations qui demandaient des explications. Avec cet album, on est passé à la photo avec des couleurs, on a engagé quelqu’un qui mixe des albums qui se vendent bien pour voir une fois ce que cela pouvait donner. Et là, disons que cela paraît audible.

Et vous vous y retrouvez tout de même ?
J : Oui, à fond. Car ce sont des morceaux qui viennent de le nature même de Coilguns. Mais on a écrit des chansons plutôt que de la musique pour musiciens ou des trucs compliqués pour ceux qui comprennent la guitare. Lorsque je l’ai écouté après qu’il soit passé dans les mains de quelqu’un qui mixe des chansons, j’ai eu le même feeling que quand j’écoute Queens of The Stone Age
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ou ce spectre de fréquence. Sans prétention bien sûr, mais je me suis dit : « Waw, on peut faire sonner la musique de Coilguns comme dans cette league là ». Parallèlement ou paradoxalement, je ne sais pas (ou péremptoirement dirait Perceval – rires !), le morceau le plus rapide, le plus thrash que nous ayons écrit se trouve sur ce disque. Mais il passe tout droit, on ne le sent pas. En même temps, on a mis l’énergie pour que ce soit un disque spécial au niveau humain. Dès le moment où on a mis un pied dans le studio en Norvège, on avait déjà gagné car on avait traversé un truc qui était très beau avec toutes les réflexions qui nous suivaient. Et qui se sont concrétisées, accessoirement par des albums qui se sont vendus et des gens qui l’ont écouté. On avait le souhait que cela arrive mais on ne pouvait pas savoir tant qu’il n’était pas sorti.

Peu avant le Covid, vous sortez Watchwinders suite auquel vous comptez sans doute pour vous étendre en le défendant sur scène. Malgré ce long coup d’arrêt, que j’imagine pour le moins anxiogène, vous revenez cinq années plus tard avec Odd Love qui sonne comme jamais. Comment avez-vous puisé cette force ?
J : Plutôt que déprimer, on a agi là où on avait du contrôle. En Suisse, cette époque a mis en lumière la précarité de la scène, des musiciens et des artistes. Mais ce qui était fou, c’est que la somme des aides légales était souvent plus élevée que ce que les artistes avaient l’habitude de gagner. On a alors eu le temps de regarder le plafond et de gérer cette crise. Deux semaines avant le confinement, je venais de réinstaller un home studio chez moi, ce que je n’avais pas fait depuis des années. J’avais prévu d’y passer un mois qui s’est multiplié en six.

Même si l’image que renvoyait la société aux artistes, considérés en bas de la liste, était assez dure, parallèlement, on a pu se poser sur notre petit bout de caillou riche qu’est la Suisse pour écrire cet album. En fait, on avait déjà entamé ce virage avec Watchwinders, celui qui nous a amené à écrire des chansons, même si ce n’est pas si évident dans le rendu.

On venait de jouer devant beaucoup de gens différents dans le cadre d’un événement du label et on s’est rendu compte qu’on arrivait à partager cette énergie avec eux. On a donc voulu tirer vers ça plutôt que rester dans les caves qui nous connaissions depuis dix ans. C’est pourquoi je suis d’autant plus content de remettre les pieds sur la route de cette façon cinq ans plus tard. C’est un cadeau du ciel.

Après ce laps de temps sans concerts, vous vivez cette année complètement sur la route. Est-ce que tu as l’impression que le circuit a changé ?
J : Même si on ne tourne plus exactement dans le même circuit et que nous avons franchi un palier en jouant dans des salles reconnues, il est sûr que beaucoup de gens ont arrêté. L’associatif s’est dégradé car les gens ne gagnent pas d’argent. En même temps, les jobs se professionnalisent et les endroits tenus par des bénévoles se raréfient car c’est la merde et parce qu'il faudra bientôt deux jobs pour payer son loyer. C’est ridicule, les gens ont autre chose à foutre que se faire oppresser par le coût de la vie. Disons que les endroits se situant entre les grosses machines subventionnées et les squats ont tendance à disparaître. Je parle des lieux comme l’Entrepôt, même si je ne sais pas très bien comment ils fonctionnent. Des endroits de cette taille avec cette gueule et une vibe un peu punk-alterno, tenus par des gens qui mettent de leur temps à disposition...

Demain au Rockerill, tu trouveras une très chouette salle avec une vibe similaire dans un cadre post-industriel.
J : Et bien, je me réjouis !



Déjà, lors de votre interview pour SMA il y a plus de 13 ans, tu expliquais que vous fonctionniez à l’arrache lors des enregistrements, pour garder cet esprit live et cette urgence, votre côté brut. Vous faisiez tout vous-mêmes. Cette fois avec Odd Love, en plus d’avoir pris le temps, la démarche est différente car vous avez fait appel à des personnes et des éléments extérieurs. Pourquoi ce choix ? Le considères-tu comme un choix radical ou plutôt comme une évolution ?
J : Tout ce qu’on fait s’inscrit dans une évolution naturelle. Techniquement, nous étions arrivés au maximum de nos capacités. Oui, c’est radical car on a décidé de tout changer d’un coup, aller dans ce studio en Norvège et faire venir Scott Evans de Californie, mais c’est une décision que nous avons eu le temps de fomenter pendant presque trois ans, car il a été enregistré en 2022. Il faut dire qu’on a d’abord essayé de le mixer nous-mêmes, puis on s’est retrouvé un soir pour l’écouter et nous étions mitigés car le son était trop proche des disques précédents. On a donc a remis une couche en faisant appel à Tom Dalgety pour aller vers un mixage complètement différent.

Cela a été déterminant de lâcher tous ces aspects, faire venir un gars de Californie pour produire et tourner des boutons pour que nous puissions nous lever le matin en ne pensant qu’à jouer de la guitare et de la batterie. C’était fou ! Je pense qu’on ne va plus jamais faire un disque autrement.

D’ailleurs, on enregistre le nouvel album le mois prochain. Avec le même Californien. Mais il viendra à la maison cette fois !

Pourquoi vouliez-vous casser les codes ?
J : Parce qu’on sentait qu’on avait atteint un plafond de verre. A tous les niveaux, de la façon dont on sonnait sur scène et sur disque, en passant par l’image générale. On sentait qu’on avait créé un truc qui pouvait intéresser un public plus large avec notre image indie à ranger dans le rayon punk plutôt que metal. On avait déjà cette envie d’inclure tous types de gens dans nos concerts et, à une certaine échelle, on s’est rendu compte qu’on nous le rendait bien. On s’est demandé comment extrapoler ça. Il fallait donc mettre nos morceaux dans les mains de quelqu’un qui mixe des disques que les gens écoutent plutôt que concevoir nous-mêmes celui qu’on écoute entre couillons à deux heures du matin en se félicitant. Il ne fallait pas donner l’impression d’être maquillés mais ce n’est pas nous qui allions l’écouter en fin de compte. Pourquoi ne laisserait-on pas faire aux gens leur métier ? Et aux autres d’acheter un disque qu’ils peuvent écouter ? Il n’en reste pas moins que, quand on monte sur scène, ça reste nous qui délivrons le truc comme tu le connais.

Est-ce à mettre en parallèle avec l’évolution du label Humus Records , que tu as créé (avec Louis il me semble) d’abord au service de Coilguns et qui s’est professionnalisé en faveur des artistes suisses, en variant les esthétiques ?
J : C’est le merdier oui - rires ! Tous ces trucs sont un peu devenus des jobs par accident. Coilguns tire le label ou l’inverse. C’est la tête de file puisque Humus a été monté à notre service comme tu le mentionnes. On construit nos outils, on les affine et les affûte au fur et à mesure des sorties. Les disques du groupe font rayonner le label et les suivants en bénéficient. Cela ne veut pas dire qu’on sortira nécessairement le prochain chez Humus car nous avons aussi cette volonté de tester un fois ce que ça fait de bosser avec un autre label. Il est clair qu’on a le contrôle sur tout avec cet outil. Et ça, c’est confortable. Donc, si on travaille avec un autre, il faudra vraiment qu’il nous propose un truc cool. Et je ne parle pas d’argent mais de ressources et de gens qui ont envie de bosser le truc. Je sais déjà quand il sortira mais, si personne n’est d’accord avec ça, nous le sortirons nous-mêmes.

Et ce périple en Norvège (studio), vous l’avez un peu vécu comme une aventure initiatique, non ?
J : Carrément ! C’était important d’avoir ce sas de décompression pour arriver là-bas et vraiment rentrer dans le disque car nous avons tous des quotidiens fort occupés. On a pris quelques jours pour y arriver, après avoir traversé l’Allemagne et le Danemark en van avec un peu de matos.

C’était très beau, on respirait le disque, on en parlait à table, on dormait ensemble, on se racontait ce qu’on voulait faire. Une fois là-bas, on avait déjà tout gagné.

Tout était écrit pour trois semaines avec quelqu’un qui enregistre. Alors qu’avant, on écrivait en studio et ça prenait quatre semaines avec le mixage. Au retour, nous avons pris un autre chemin en nous arrêtant dans un autre studio où nous avons pu évacuer un tas de choses liées à Watchwinders.

Quel a été le processus de composition et vos sources d’inspiration pour Odd Love ?
J : C’était un retour aux sources. A la base du groupe, j’avais écrit trois morceaux présentés aux autres, puis nous les avons enregistrés et c’est devenu un groupe. Un peu comme un accident sur une peau de banane mais, quinze ans plus tard, nous sommes toujours là. Après, je lançais la base, on écrivait dans le local avec Luc, puis Louis nous rejoignait. C’était une écriture instantanée. Dès le premier album, ce fut une écriture en studio. On sortait un disque, on partait en tournée et ainsi de suite. Il ne fallait pas être en panne d’inspiration. Je ne jouais jamais de guitare en dehors de ces moments et des répètes avant les tournées. Juste avant le début du covid, j’ai eu envie de me retrouver avec ma guitare dans le home studio que je venais d’installer, seul, à programmer des batteries alors que nous avons le meilleur batteur du monde. J’ai pondu 13 ou 14 morceaux qui sont passés chez Luc, qui n’avait pas l’habitude de jouer et s’enregistrer seul. C’était compliqué pour lui mais ça a été formateur et il fait ça très bien. C’est arrivé ensuite chez Louis, qui a l’habitude d’aller dans des chalets où il a « puzzlé » tout ça. On avait des morceaux Frankenstein, passés de mains en mains, avant de se retrouver pour les jouer et sentir ce que ça nous faisait avant d’effectuer quelques changements. On a enregistré plusieurs maquettes. On a écrit des morceaux en club avec des gros systèmes allumés. Tout simplement pour qu’ils sonnent bien sur scène. Certains étaient plus calibrés pour la scène que pour le studio.

Qu’est-ce que cela vous a apporté de travailler avec un producteur de renom comme Scott Evans ?
J : Déjà, il est venu pour tourner les boutons. C’est super de travailler avec les Américains car ce sont de gros bosseurs. En tout cas, lui a une certaine éthique de travail. C’était lunaire. On se réveillait et il avait déjà tout préparé. Si je devais enregistrer une guitare dans une autre pièce, il nous suggérait une pause et il bougeait tout le matériel. Un gars inarrêtable. C’est Kévin qui nous l’avait proposé. On aime son groupe, Kowloon Walled City
Kowloon Walled City


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, et tout un tas d’autres qu’il a produits. Il est venu avec des pédales, ses micros préférés et des effets propres à ses productions. Ce qui change la donne, ce sont ses propositions de son, de réglages... Lorsque nous avons repris la scène, c’est comme si j’avais réappris à entendre mon instrument et les effets que j’utilisais. Il savait prendre sa juste place quand il avait quelque chose à dire, mais aussi faire un pas en arrière quand il voyait qu’on s’accrochait à un truc qui ne lui paraissait pas vital de changer. Une fois, il nous a dit après la première prise : « Sur ce morceau-là, ce riff, je pense que vous pouvez faire vachement mieux ». Mais c’est tout ce qu’il a dit. Il n’allait pas nous dire comment écrire la musique. Ce n’est pas un producteur envahissant. Il m’a expliqué que ça ne résonnait pas bien avec le reste du morceau, que c’était un peu trop générique. Le lendemain, je me suis posé une heure et j’ai écrit un tout bon riff. Il y avait aussi des idées de prod à l’instar de cette installation de batterie dans les toilettes avec un micro dans le piano à queue six mètres plus loin pour tel type de son. Bref, cela nous faisait un regard extérieur qui aime le groupe, savait où nous voulions en venir et qui, quelques fois, pouvait faire office de traducteur entre nous-mêmes.

Kévin (basse/claviers) est arrivé avant l’enregistrement de l’album. Je vous ai vus au KulturA à la sortie du Covid, puis quelques fois cette année après Odd Love. La dernière fois, avant Envy
Envy


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, je me suis dit : « La vache, il est complètement dedans », parties vocales comprises et allant jusqu’à prendre la parole entre les morceaux. Cela me faire dire qu’il s’est fait une place assez rapidement, ce qui n’a pas dû être évident au sein d’un trio avec de fortes personnalités musicales qui fonctionnent en alchimie depuis des années...

J : Oui, ç’était un questionnement pour lui au moment où il est arrivé entre nous trois. J’avais déjà écrit les basses et les synthés de Odd Love quand il a intégré Coilguns. En plus, on lui a demandé de mixer le disque. Il ne voulait pas mais on a insisté et il y a passé deux mois pour qu’on l’envoie finalement à Tom Dalgety. Oh tiens, il arrive droit à ce moment-là ! (Coïncidence, Kévin se pointe...) Donc oui, il s’est posé la question de la légitimité de sa place. Kévin ?
K : C’est VRAI (rires) !
J : En ce moment, on est tous en questionnement sur notre place dans le groupe et dans nos vies. C’est la première fois qu’on tourne aussi intensément. Sur une année, cela correspond à plus de 120 jours loin de chez nous. Le prochain disque est passé à la machine à laver chez tout le monde et c’est le premier qu’on fait avec de la vraie basse. Donc oui, Kévin est complètement intégré, à sa place.
K : C’est VRAI (rires) !



Dans Odd Love, les textes oscillent entre colère brute, introspection et visions presque surréalistes. En quoi les thèmes abordés résonnent-ils avec des préoccupations sociales ou existentielles contemporaines ?
J : Les textes résonnent avec tout cela et notre point de vue face au monde. Celui du groupe mais aussi d’êtres humains au sens large. C’est pour cette raison que Louis écrit toujours ses textes à la première personne du pluriel. Avant, nos paroles étaient assez cryptiques. Notre volonté de rendre les choses plus évidentes et lisibles par plus de gens s’est aussi traduite à travers les textes. Oui, le contexte sociétal influence ses paroles qui ont plusieurs grilles de lecture.
Louis vient d’arriver, il ne veut rien ajouter. Il écoute.

Ce qui frappe lorsqu’on s’intéresse à l’évolution de Coilguns et de Humus Records, c’est votre identité engagée et artisanale qui valorise une approche indépendante, s’appuyant sur des processus de création collaboratifs et respectueux des différentes visions artistiques. D’après votre expérience de longue haleine, quels sont les éléments qui, selon toi, permettent de faire grandir une dynamique collective DIY, valable pour toute expérience musicale ? Toute proportion gardée, la question se pose d’ailleurs pour un webzine comme SMA.
J : Oh waw... Silence. Punaise, c’est une question profonde... C’est difficile d’y répondre car j’ai tellement le nez dans le guidon, d’autant plus que je n’arrive pas à concevoir les choses autrement qu’à partir de la manière dont on les a montées depuis qu’on a 20 ans...
Kévin s’avance.
K : J’ai une ébauche de réponse. Il est important de reconnaître les qualités et potentiels individuels qui font partie d’un collectif et faire en sorte que les différentes places soient comprises, en laissant tout de même de l’espace pour faire plus, s’il y a besoin de ce plus. Chacun a un rôle différent à jouer. En jouant ces rôles qui s’emboîtent les uns dans les autres, en voyant la flexibilité que cela donne, cela permet de mieux se connaître et d’aller plus loin.
J : Je n’aurais pas pris cet angle mais c’est tellement vrai. Pour aller dans l’extension de ce que dit Kévin, comme on était trop occupé avant de commencer, on s’est très vite entouré d’autres pour s’occuper de ce qu’on ne savait pas faire. Je pense à Sophie qui faisait de la sérigraphie dans le sous-sol chez sa maman avec un aspirateur sous la table pour tenir les feuilles.

On emballait nos disques dans des sacs de congélation, sérigraphiés dans la cave à l’aspirateur et séchés dans le jardin.

Il se trouve que Sophie est devenue graphiste, elle a fait l’école d’art, a maintenant un véritable atelier de sérigraphie. On bosse toujours ensemble. Ce fut le cas avec plein de gens qui partageaient les mêmes intérêts que nous. Je pense aussi à Marilyne, dont l’amoureux jouait dans un groupe du label, qui était coiffeuse, venue à la linogravure après avoir rencontré Sophie. Elle bosse maintenant dans la médiation culturelle et mène tous types d’ateliers pour rendre les pratiques artistiques accessibles. Je pense aussi à Elie Zoé
Elie Zoé


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, un des artistes phare du label, qui fait sérigraphier ses T-Shirt chez le batteur d’un groupe du label qui, avec Marilyne, a développé des pigments de couleur à base de plantes de la forêt. Voilà comment se construit un réseau. Mais c’est un peu par accident qu’on a fait les choses justes depuis le début. Aussi par besoin et volonté. Mais ce serait un peu facile de dire que c’est comme cela qu’il faut faire. En fait, l’environnement social dans lequel on a grandi nous l’a permis.

C’est un peu tout cela que vous appelez Odd Love ?
J : C’est précisément tout cela. Il a évidemment plusieurs visages : notre rapport à l’industrie musicale, à notre place dans la musique. Il y a cet amour qu’on se porte : aimer se renifler le cul à 20 cm les uns des autres, 24h sur 24, 7 jours sur 7, 1 jour sur 3 dans l’année, c’est quand même étrange, non ?

Vu comme ça, oui !
J : En même temps, c’est littéralement ça. Cette impossibilité d’expliquer pourquoi on continue à le faire contre toute attente, envers et contre tout. On a aussi ce privilège d’hommes blancs, nés en Suisse dans des familles de la classe moyenne. Potentiellement, on avait des solutions. Mais nous pouvons être un peu fiers d’avoir tiré le meilleur parti de cette situation pour faire un truc qui nous semble assez cool, en tout cas pour nous et celles et ceux qui nous accompagnent. J’espère aussi pour les autres qui viennent recevoir ce qu’on a à leur offrir quand on joue.

Coilguns et Humus Records prennent de l’ampleur alors que Kévin et Louis sortent des disques en solo, enregistrent, produisent... pendant que Luc prête main forte à d’autres musiciens (ndlr. Il vient de sortir un album avec son autre groupe Beurre
Beurre


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). J’imagine que ce n’est pas rien de concilier tout ça...

K : C’est simple. Coilguns est la priorité. Nous avons un calendrier partagé où il est écrit quand on n’a pas le droit de faire autre chose. On se concerte entre nous pour voir quand on peut prendre des vacances sans pénaliser le groupe. Très longtemps à l’avance, une année environ, on se réserve des périodes durant lesquelles on se consacre à d’autres choses que Coilguns.



Un mot sur le visuel. Quel est l’itinéraire de cette photo ?
K : Pendant l’enregistrement, nous avons pris une pause pour nous rendre au bled à côté du studio, à Ålesund, car il y avait une fête païenne qui correspond au solstice d’été. Chaque année à ce « Midsummer », les habitants érigent une tour de bois, en palettes, haute de plus d’une quarantaine de mètres. Ils y foutent ensuite le feu et boivent toute la bière qu’ils peuvent trouver dans les alentours, en regardant ce gigantesque brasier. Le propriétaire du studio nous a fait sentir qu’il serait dommage de ne pas y aller alors que nous étions à deux pas. C’était impressionnant. La berge est à une bonne centaine de mètres du feu mais la chaleur se propage très loin.

Le palettes brûlent, la tour se désintègre progressivement, les gens deviennent de plus en plus alcoolisés et ils traversent la rade pour rejoindre le brasier à la nage ou sur une espèce de plateforme bien Mad Max avec des bouts de frigos. Le type sur la pochette a l’air de réfléchir à la vie mais, en réalité, il est entrain de pisser sur le brasier.

Valentin Lurthy, un ami de longue date qui documentait la création de l’album, a saisi ces instants. On lui doit cette photo qui dégage quelques chose de fort, emblématique, et qui s’est imposée comme une évidence.
J : Le lendemain, Louis a fait un montage de maquette et j’ai cru qu’il se foutait de ma gueule : « Mais oui, bien sûr, le groupe de guitare qui met du feu sur la pochette... ahahah ! » Une année plus tard, quand nous ressortions de quoi bosser sur l’artwork, je me suis dit que ce n’était pas un gag en fait !

Il y a plus de deux ans, j’étais ici-même et interrogeais Bart et Birds In Row
Birds In Row


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. Vous aviez été vus en studio ensemble. Il n’en avait pas dit plus qu’un « quelque chose va sortir d’ici la fin de l’année, mais c’était cool ! » Depuis, on a entendu ce que cela a donné : un EP trois titres, You and I in the gap, composé par tous les musiciens ensemble. Quel est ton retour sur cette expérience ?

J : Il a y un truc qui est sorti en début d’année passée et c’était franchement assez cool...
Tout le monde se marre.
K : Je te voyais venir, je savais que tu allais dire ça !
J : J’ai beaucoup de plaisir à écouter ces morceaux. C’est difficile de décrire le rapport avec Birds In Row
Birds In Row


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. C’est bizarre car ce sont des amis et pourtant on ne se tient pas du tout au courant.
K : A part Luc et Joris...
J : Mais oui, ce sont des batteurs, ils s’envoient des trucs : « J’ai écrit cette partie, ça sonne comme toi, je te l’ai piquée, c’est ok ? ». On va sortir Pain Magazine
Pain Magazine


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, on bosse avec Quentin Sauvé
Quentin Sauvé


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, donc on s’écrit dans ce cadre, mais quand on se voit c’est fusionnel. On ne s’est pas posé la question, on est arrivé dans le studio sans avoir écrit quoique ce soit. C’est ça que je retiens. On n’a pas pris la route car on n’avait pas assez de musique pour le faire et les choses se sont enchaînées pour nous. Il y a un moment du récit, quand on aura 45 ans, où l’on fera une petite tournée !

Avez-vous vos petits rituels ou un rituel commun avant de monter sur scène et de lancer la déferlante ?
J : Est-ce que chacun veut le raconter ? Allez Louis, viens dire bonjour... (rires). On se retrouve vingt minutes avant le concert pour se connecter les uns aux autres. S’il y a un public un peu particulier, Louis convoque une espèce d’assemblée et on discute de l’approche qu’on peut avoir en fonction. Juste avant, on forme notre cercle des souhaits, on lâche quelques conneries et on se prend dans les bras. Une fois sur scène, on se tape dans les mains pour annoncer le début du concert à notre équipe technique et à nous-mêmes.

Les prochaines dates de votre tournée vous emmènent au Mexique en repassant par l’Angleterre avant de vous ramener en France et en Suisse. Comment ces dates s’inscrivent-elles dans votre vision artistique pour les années à venir ? Et que peuvent attendre les fans de Coilguns au-delà de cette série de concerts ?
J : Bonne question ! On n’a pratiquement jamais autant tourné que cette année, donc on va faire un gros débriefing pour voir comment tout le monde se sent avec cette dynamique. On aime tous jouer, maintenant dans de bonnes conditions, le gens commencent à venir nous voir.

Même avec nos difficultés personnelles, ce n’est pas compliqué de se lever le matin pour se retrouver dans des clubs cool où l’on reçoit une telle énergie. Je n’ai donc aucun doute qu’on va continuer à le faire. Comme je t’ai dit, on va bientôt enregistrer le prochain album et on commencera à le promouvoir dès le printemps. Le cycle de tournée ne va pas s’interrompre jusqu’en 2027.

Ce qui se passe cette année est assez beau et je serai content de continuer à faire ça de ma vie. On va au Mexique et ça va être exploratoire. On a envie d’aller voir ailleurs, en Amérique Latine, pourquoi pas en Asie, peut-être au printemps, pour ensuite brûler les festivals et tourner à nouveau en Europe à partir de la sortie du nouvel album à l’automne prochain. Svp les gars, je peux dire que je vais écrire l’album suivant cette année ? Et celui d’après... J’ai très envie de le dire. J’ai une nouvelle guitare !



Quelle vie et quelle chance de pouvoir accomplir ce que vous aimez...
J : Oui, c’est beau. On se le dit tous les jours. Même si, parfois, c’est dur car on a tous nos problèmes personnels. Mais lorsqu’on dézoome un peu, on conscientise tous qu’on a beaucoup de chance. Et c’est super de compter sur des gens comme vous qui prenez le temps de nous donner la parole. Ça nous permet aussi de se psychanalyser et de réaliser ce qu’on fout.

Merci !
J : Quel plaisir ! C’était trop chic. Merci beaucoup !
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