Reportage

Cave In : 'Jupiter' sur orbite...

Bruxelles (Botanique), le 09-09-2025

Jeudi 11 septembre 2025



Le temps est une bien drôle de bête… Il file, il s’étire, il s’emmêle, bref : il ne respecte jamais la ligne droite qu’on voudrait lui imposer. Sinon, comment expliquer que « Jupiter », le deuxième album de Cave In
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, ait déjà vingt-cinq piges ? Vingt-cinq ans ! Alors que dans nos têtes, il reste cette météorite flamboyante tombée du ciel quelque part entre l’an 2000 et hier soir. Et ce mardi, au Botanique, c’est à une séance d’astronomie que nous avons assisté. Le quatuor ressort le télescope et enclenche la machine à remonter le temps : avec au programme, l’intégralité du disque, jusqu’aux interludes planants qui, à l’époque, servaient autant de sas psychédéliques que de pauses techniques pour changer de guitare sans perdre la face. La salle, pourtant loin d’être pleine à craquer, s’apprête à entrer en communion cosmique, cette excitation électrique qui précède toujours les grandes traversées.


Le souffle encore tiède, la mousse de bière collée à notre lèvre supérieure, on profite du bar et on n’a pas encore mis le pied dans l’Orangerie que retentit une première déflagration : les Français.es de Toru
Toru


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montent sur scène sans crier gare. Juste trois ombres qui s’installent comme si elles s’apprêtaient à déterrer quelque chose de sacré. Juste des amplis, des câbles et une tension électrique que même les plantes du Botanique doivent sentir trembler dans leur chlorophylle. Et ça tabasse sec ! Noise rock, free jazz sous acide, un soupçon d’indus et un amour malsain pour les fréquences qui collent des migraines aux puristes. Le batteur Nico t’arrache la moelle épinière à coups de rythmes tribaux, tout en proposant un jeu très technique et jazzy. Et les deux guitaristes que sont Arthur et Héloïse tirent des lignes qui ressemblent à un courant de fond dans un fleuve noir. Ils torturent leurs instruments à l’aide d’objets divers comme s’ils exorcisaient une entité sonore qu’on n’était pas censé entendre. Mais on entend. Et ça fait un bien fou. Chaque morceau ressemble à une improvisation en temps réel, un risque, une prise d’otage. Ça monte, ça descend, ça respire, puis ça repart comme une meute de chiens de l’enfer. Ils balancent un mur de son qui ne laisse pas réfléchir : une transe sans tambourin ni trompette. Le genre de set qui ne te donne pas des chansons à fredonner sous la douche… Pas d’effets cheap, pas de poses. Juste une honnêteté crue. Les instruments gueulent comme des gens qui ont trop gardé pour eux. Et ça sort. Brut. Sincère. Sale. Quand le dernier grondement s’éteint, c’est le silence complet. Le vrai. Celui qui ne survient qu’après un chaos absolu. Et puis, d’un coup, une ovation assez sincère. Toru
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a quitté la scène aussi discrètement qu’ils sont venus. Cave In
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, après ça, n’avait plus qu’à ramasser les morceaux.



Petit flashback et contexte pour resituer un peu les choses : fin des années 90, début 2000, les majors signent encore à tour de bras des groupes dont elles ne savent pas quoi foutre. Cave In
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a donc droit à son tour de manège : l’album « Jupiter » cartonne chez Hydra Head, RCA les embauche, puis les vire fissa après un seul album 'mainstream' (« Antenna »). Retour à l’envoyeur, retour à la liberté. Comme quoi, il y a des planètes qui refusent d’être domestiquées…
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vient de la scène punk-hardcore américaine, ce qui peut surprendre quand on entend ce disque. À force de métamorphoses, ils ont glissé vers un style qu’on a baptisé ‘emo’, pas la caricature adolescente d’aujourd’hui, mais son sens premier à savoir des mélodies, des atmosphères, de l’émotion brute. Et là-dedans, ils assument sans gêne les amours interdits : Pink Floyd
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, le krautrock, My Bloody Valentine
My Bloody Valentine


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, Sonic Youth
Sonic Youth


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. Bref, du punk de naissance, mais avec des posters de prog et de shoegaze dans la chambre. Au micro, on retrouve Steve Brodsky : pensez à un Thom Yorke dopé à la caféine, ou un Jeff Buckley qui aurait pris des cours de scream. Sa voix, à elle seule, dessine une large partie de l’univers de Jupiter , un album que l’on pourrait qualifier d’ouvert, complexe, expérimental, et suffisamment barré pour intriguer autant les fans de metal que ceux de rock planant.

Mais revenons à ce soir : alors, le piège d’un concert « album intégral », c’est qu’on se retrouve parfois coincé avec des morceaux un peu anecdotiques — ou pire, des remplissages. Sauf que « Jupiter » est un bloc compact, neuf titres qui tabassent, brillent et s’illuminent à tour de rôle. C’est du metal qui balance des mélodies et des accroches à faire pâlir un magasin de pêche.

Soyons honnêtes, le titre éponyme met un peu de temps à décoller : des riffs costauds, assez standards, Steve Brodsky qui attaque son chant avec cette sincérité un peu maladroite que l’on retrouve lors d’un concours de jeunes talents au lycée. La voix, agressive et psyché, évoque les délires les plus fous d’Amon Düül mais soudain, le chant se colle à une ligne de guitare au parfum oriental et… bim. Le virage. On comprend que ce soir, on va voyager plus loin qu’annoncé.



La salle flotte déjà, et le deuxième morceau In The Stream of Commerce vient brouiller les cartes : refrain de hard rock générique, blindé de tics à la Scott Weiland, mais des couplets aériens, réverbérés, avec même un falsetto un peu kitsch. Personne n’ose prononcer le mot interdit, mais tout le monde pense à la même chose : il y a du Rush là-dedans ! Un rock moderne, tendu mais élégant. Par moments, ça rappelle Anekdoten dans leur phase grunge.

Et puis débarque Big Riff. Sept minutes qui portent bien leur nom : riffs mastodontes, growls façon “je vais manger vos enfants”, mais aussi des phases hypnotiques de picking comme si les guitares voulaient s’évaporer dans l’espace. Sur scène, Adam McGrath et John-Robert Conners jouent comme si leur vie en dépendait… Et le bassiste Nate Newton (Converge
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) est la force tranquille dans tout ce déluge sonore. Arrive alors Innuendo and Out the Other, et là c’est un Black Hole Sun (Soundgarden
Soundgarden


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) étiré à l’infini, sans refrain, presqu’un mirage. Ici, Brodsky déploie toute sa palette : douceur fragile, hurlements abrasifs, tout dans la même mesure. La musique est mélodique mais toujours tendue. On y croise Can
Can


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bras-dessus bras-dessous avec Radiohead
Radiohead


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. Puis Brain Candle surgit comme un phare dans la brume : court, vif, punk dans l’âme, avec des éclats 80’s (Wire
Wire


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, Gang of Four
Gang of Four


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, ...). C’est là qu’on se rappelle que Cave In
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a balisé le terrain pour Baroness
Baroness


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ou Russian Circles
Russian Circles


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: riffs massifs, mais toujours un cœur battant au milieu du vacarme. On arrive au cœur du voyage avec Requiem, neuf minutes de post-metal quasi religieux qui ralentit la cadence pour mieux nous hypnotiser. La salle, suspendue, encaisse chaque vague sonore comme une prière amplifiée. Et derrière, Decay of the Delay tranche net : instrumental sec, anguleux, précis. La violence, mais au scalpel et sans réelle surprise. Et là, alors qu’on pensait connaître la suite, Brodsky et McGrath balancent les premières notes de Dazed and Confused. Oui, le Zeppelin en personne. Mais ici, c’est une reprise colossale, une réécriture tellurique. Même Jimmy Page aurait baissé les yeux… Le public est scotché, entre révérence et orgasme sonore. Retour au programme officiel : New Moon, dernière étape de l’album. Ça commence en fragilité : guitares chant doux, nappes percussives. Puis l’inévitable explosion : tout rugit, tout implose, la boucle « doux ? violent » qu’on a déjà vue mille fois, mais qui, ce soir, sonne comme une révélation. La salle, en transe, tangue comme une nef cosmique avant le rappel Blinded by a Blaze et son riff monolithique, désolé, inexorable qui avance comme un marcheur à l’agonie sur une plaine désertique. On pense à Swans
Swans


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, à Jesu
Jesu


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, à ces morceaux où chaque accord est une brique jetée dans un puits sans fond. La voix de Stephen Brodsky se tord dans l’air ; ni cri ni chant, mais quelque chose entre élan funéraire et murmure spatial.



Évidemment, impossible de ne pas sentir la présence de Caleb Scofield, bassiste ancestral disparu tragiquement dans un accident de voiture en 2018. Son absence est une plaie, mais son ombre lumineuse plane partout. Nate Newton, son successeur, termine le show, basse élevée vers les cieux en guise d’hommage… Et tandis que le Botanique rallume doucement ses lumières, on se dit que Cave In
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vient de nous rejouer « Jupiter » non pas comme un disque nostalgique, mais comme un objet toujours vivant, une supernova toujours prête à nous éblouir et ce, même vingt-cinq ans plus tard… On espère les retrouver bien vite, et promis, Cave In
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, ''je ne vais pas m’attaquer sur ta tête !''

Remerciements au Botanique

Ce live report est également disponible sous format vidéo via ce lien :



Texte, photos et vidéo : Panda
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AUTEUR : Panda
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, pas...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...
Mordu de concerts depuis de nombreuses années, Panda aime écumer les salles, clubs et festivals de tout le pays. Bibliothécaire-documentaliste, passionné d'Histoire, de théâtre, de bande dessinée et de football, il est très (voire trop) éclectique dans ses goûts musicaux (metal/rock mais aussi pop, folk, new wave, electro). Il a rejoint l'équipe de SMA en février 2016 en tant que chroniqueur de concerts désireux de partager ses expériences live ! ...

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