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« Paroles et paroles et paroles »

Jeudi 19 octobre 2023

Attention, je lance un grand débat, aujourd’hui, sur fond de ce succès de Dalida et Alain Delon. Qui comprend les paroles des chansons ? Celles qui sont chantées, braillées ou criées. Qui fait la démarche de les lire ? Moi, parfois, mais pas toujours. Du coup, à quoi servent les paroles des chansons ? La musique instrumentale est-elle aussi percutante ? Pourquoi et comment les artistes les utilisent ou font le choix (délibéré ou non) de privilégier les instruments ?
C’est parti pour un petit tour de la question avec différents témoignages.




Allons tout d’abord investiguer du côté des consommateur·trices de musique. Julien, par exemple, aime prendre connaissance des paroles parce qu’il est curieux de connaître le thème de la chanson, les idées développées, etc. Pas pour tous les morceaux, uniquement pour ses coups de cœur.
Gil Ger, lui, aime chanter les paroles d'une chanson qui lui plaît mais ne doit pas forcément les comprendre. Il avoue d’ailleurs être plus attiré par les instruments, le son de la voix que par les textes.
Pour Sylvia Gotsch, les paroles n’ont pas d’intérêt. C’est aussi la musicalité et les sonorités qui la font vibrer. Dans le black metal, c'est plutôt difficile de comprendre les paroles. Avant d’acheter un album, elle vérifie si le contenu n’est pas opposé à ses valeurs.
Par contre, Piet Ducongo trouve que les paroles sont très importantes. Si le texte d’une chanson ne lui plait pas, cela va rendre son écoute impossible. Du coup, il écoute beaucoup de musique sans parole ou des morceaux dont il ne comprend pas les paroles.

Les paroles comme instrument

Comment ça se passe du côté des parolier·es, de celles et ceux qui écrivent les textes d’une chanson ? Pour certain·es musicien·nes, les paroles sont primordiales dans la création d'un album. Dehn Sora (Throane
Throane


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), par exemple, m’explique que le texte est le moteur principal de l'intensité avec laquelle il va poser sa voix. Sa diction est très peu soutenue, quasi crachée ou sous forme de nappes ou superpositions. Il me confie aussi ne pas penser que le public distingue les paroles pendant l'écoute. Du coup, pour donner des clés de compréhension, il lie les paroles aux artworks. « Je pense que ce qui rend les écrits intéressants, ajoute Dehn Sora, sont les interprétations de chacun. Personne ne les comprendra de la même façon.

« Que la voix soit considérée comme un instrument au même titre que la base rythmique par exemple, me va absolument. »

La sensibilité rentre en jeu. J'aime que ça puisse renvoyer à des images, que ce soit le début d'une réflexion vers autre chose, et ne pas prendre le texte tel qu'il est. Il y a du direct mais il y a surtout du ressenti. Le langage crée l'intention. »



Crédit photo: Stephan Vercaemer

Chez Pestifer
Pestifer


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, c’est la musique qui influence le thème principal des paroles. Jérôme Bernard, le chanteur, lit beaucoup de romans de science-fiction. Ses thèmes de prédilection sont l’espace, l’exploration spatiale, la vie intelligente extraterrestre, les technologies et la sociologie. Il peut parfois se documenter une heure pour écrire une phrase. Il ne laisse rien au hasard. Il poursuit : « La narration des paroles n’est pas particulièrement intelligible.

« L’histoire n’est pas racontée comme dans un livre ou une nouvelle mais de manière plus symbolique. Ce qui rend le concept assez difficile à déchiffrer. »

Mais j’aime ce rendu mystérieux. Ça colle bien avec les thèmes et la musique de Pestifer
Pestifer


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. Outre la narration, les paroles permettent également de peindre un décor derrière les notes et donc, d’ajouter un aspect plus visuel à la musique. C’est un aspect très important pour nous. »


C’est aussi l’avis de Jasper De Petter de Ronker
Ronker


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qui pense qu’il n’est pas nécessaire de comprendre des paroles pour sentir ce qu’elles signifient. Ronker
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ne s’exprime pas dans sa langue maternelle et le choix du groupe est de se limiter à des mantras comme de courtes rafales de tristesse ou de colère. « La façon dont les paroles sont aboyées est tout aussi importante que les mots eux-mêmes, poursuit Jasper. La plupart des paroles de notre EP ont été écrites quand je roulais à vélo pour aller travailler. Les premières chansons étaient principalement inspirées par mes propres luttes intérieures. Les dernières ont une plus grande portée : la vie craint pour tout le monde, pas seulement pour toi et moi. »

Du côté de Castles
Castles


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, tout part d’un riff, d’un rythme, d’une idée de mélodie. Edward, le chanteur, développe ensuite une thématique et propose des textes. « Edward manie l’art de l’écriture avec beaucoup d’aisance, ajoute Jérôme Considérant, le bassiste. Il joue avec les images avec beaucoup de facilité. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre de devoir écrire des paroles, c’est inné chez lui. Les thématiques développées sont toujours analysées et approuvées par l’ensemble du groupe afin qu’il n’y ait pas de malentendu. » Jérôme poursuit en disant qu’il y a des exceptions qui confirment la règle. Pour le morceau « J'ai droit à mon congé comme tout le monde » présent sur leur nouvel EP, c’est Bertrand, le batteur, qui a proposé l’idée de long monologue directement inspiré de sa vie professionnelle. En français, en plus, une nouveauté pour Castles
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.



Mike Goffard, chanteur et guitariste de It It Anita
It It Anita


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m’explique lui, que, dans son processus créatif, il a rapidement une idée de mélodie de voix d’où il enregistre un yaourt. Les paroles qui en découlent peuvent avoir du sens ou être abstraites. C’est très aléatoire, il n’y a pas de règles. L’anglais n’étant pas sa langue maternelle, Mike se fait aider sur pas mal de titres par un ami écossais, Théo Clark. Ça lui permet d’aller un peu plus loin dans le vocabulaire et les expressions. « Mes inspirations peuvent être très terre à terre, poursuit-il, comme ma vision souvent pessimiste de la société actuelle. Elles peuvent aussi âtre totalement abstraites, sans recherche de sens, juste des sonorités de mots. Je n’ai pas vraiment l’impression que les gens écoutent les paroles pendant nos concerts mais j’imagine que certaines personnes les écoutent et les comprennent lorsqu’ils écoutent le disque. »

Alexandre Pomes de Black Bleeding
Black Bleeding


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complète le propos en disant qu’il considère le chant agressif plus comme un instrument que comme un vecteur de message. Ne pas chanter serait pour lui comme retirer une guitare ou jouer sans distorsion. « Le public ne peut pas comprendre les paroles juste à l’écoute, dit-il.

« Pour notre style de musique, le plus important est le flow des syllabes. Nous faisons la part belle aux cris et hurlements, les paroles sont secondaires. »

Bien qu’incompréhensibles si on n’a pas le texte devant soi, j’essaie quand même de faire un effort pour trouver un refrain ou partie de couplets un peu original ou intelligent. Le reste peut être alors juste du remplissage.
Étant parfaitement bilingue j’écris les paroles pour tous les morceaux. En anglais car c’est plus facile à chanter vite. Bien que j’intègre de plus en plus de parties en français pour le fun de voir si certains vont capter. »


Les paroles comme émotion

Maxime Ingrand, guitariste de Lost In Kiev
Lost In Kiev


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, poursuit en me disant que c’est un choix artistique d’être un groupe instrumental. Choix qui oblige à penser la composition instrumentale, à réfléchir à ce qu’on va raconter avec les mélodies, les patterns. « On se doit de faire vivre les morceaux et tenter d'en faire ressortir des choses qui restent un peu en tête, ajoute Maxime. Chose qu'une partie chant fait un peu plus naturellement.

« Sans texte, c’est forcément plus abstrait, ça laisse beaucoup plus de place à l'esprit de l'auditeur pour se faire ses propres images et interprétations. »

Tu peux aller émotionnellement très loin, je pense, avec juste de la musique. »
Maxime poursuit en me disant qu’il est plus facile d’être entendu et « vendable » avec du chant. Ça rendrait la musique plus accessible, plus audible, moins de niche. Lost In Kiev
Lost In Kiev


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a, par exemple, fait quelques morceaux avec Loïc Rossetti de The Ocean
The Ocean


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. Le groupe aime se challenger pour tenter de nouvelles choses. Elles ne sont pas figées.

Du côté de WuW
WuW


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, au fur et à mesure de l’avancement des morceaux, le duo s’est posé la question de savoir s’il serait judicieux d’intégrer une partie vocale. Guillaume et Benjamin Colin ont décidé que les morceaux n'en avaient pas besoin, qu'ils étaient cohérents et qu'ils avaient du sens en tant que tels. « On se retrouve finalement très bien dans cette approche instrumentale, ajoute Guillaume (guitares, basse et synthés), on a toujours été des auditeurs de ce genre de trucs. Ça nous convient très bien de ne pas avoir à nous en préoccuper. Nous ne sommes ni chanteurs ni paroliers. On est plus à l'aise avec le côté musical, même si on a déjà joué et composé dans des groupes avec du chant et ça se passait très bien. »



Il n’y a pas de chant non plus dans Tars
Tars


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. Tout simplement parce que Damien Polfliet n’est pas à l’aise avec l’écriture de textes et ne se considère pas comme un chanteur. Ce qu’il ne maîtrise pas, il ne le fait pas. « Les seules paroles qui se trouvent sur « Endurance » et « No dominion » sont des poèmes en rapport avec les films qui ont inspiré ma musique, explique Damien. En s’exprimant uniquement par la musique, cela donne un côté très imagé, en fait. J’aime comme une couleur de son, un rythme ou un placement de reverb, par exemple, peut induire une émotion. Et pour en revenir aux morceaux que j’ai cités, je considère ces textes plus comme une couleur de son, tout comme un son de guitare ou de synthé, même si effectivement les textes sont hyper puissants. »

Dans Neptunian Maximalism
Neptunian Maximalism


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, la façon d’aborder les textes est assez différente de ce qu’on trouve dans le monde de la musique où ils ont un caractère narratif. Guillaume Cazalet, la tête pensante de Neptunian Maximalism
Neptunian Maximalism


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, m’explique que l’emploi du texte va être assez restreint et qu’il va apparaitre comme une ponctuation à des moments très précis. Un peu comme une parole sacrée, une parole divine, un discours prophétique. « Notre musique crée un grand continuum, poursuit Guillaume, une temporalité étirée. Par exemple, sur la chanson « Eôs » qui dure dix-huit minutes, il y a quatre petites phrases au milieu de la chanson. En live, ça sort de manière automatique à la manière des surréalistes. Pour moi, c’est plus simple de ne pas m’occuper des paroles.

« Je suis plus musicien que parolier et encore moins au sens traditionnel du terme. Je pense que la musique est capable de transmettre quelque chose impossible à décrire en paroles. »

Je trouve la musique très puissante en elle-même et suffisamment capable de transmettre le maximum. »


Apprendre à écrire

Dominique Van Cappellen (Baby Fire
Baby Fire


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) propose des ateliers d’écriture dans le cadre d’activités d’empowerment destiné à des musiciennes par le biais d’UneFois, une agence collective de management. Ces ateliers sont, pour Dominique, une forme d’encouragement afin de développer sa créativité. Elle m’explique le déroulement d’un de ces ateliers : « Je commence par poser un cadre théorique en énumérant les différents types de chansons (engagés, romantiques, etc.), les différents modes d’expression (parlé, déclamé, chanté, etc.). Ensuite, j’annonce la bonne nouvelle : il n’y a pas de méthode (rires). Je montre des exemples de compos faites de nombreux couplets, d’autres constituées de deux phrases seulement. Je crois que la perception des paroles dépend beaucoup de la langue utilisée et de la ou des langues parlées dans le pays. En Belgique francophone, on va prêter beaucoup moins d’attention à un texte en anglais qu’à des paroles en français. C’est en tout cas mon expérience. »

Le studio des variétés Wallonie-Bruxelles organise également des formations en écriture de chansons. Depuis deux ans, un appel à candidatures est lancé pour suivre cette formation qui comprend des masterclasses, workshops et des sessions studio. Sur cinquante candidatures reçues en 2023, neuf artistes ont été sélectionnés. Ce sont des artistes professionnels ou semi professionnels qui rejoignent la formation pour apprendre et/ou sortir de leur zone de confort. « Notre but, explique Michael Lariviere, directeur artistique au studio des variétés, est de renforcer et professionnaliser l’écriture. On veut ouvrir le champ des possibles. En Belgique, les auteurs écrivent souvent seuls alors que dans d’autres pays il y a plusieurs personnes qui coécrivent des chansons. Il y a un intérêt à se mettre ensemble pour travailler. C’est intéressant de découvrir la dynamique d’une session de co-écriture. On va aussi analyser les structures des chansons, des rimes, donner des astuces pour ne pas rester devant sa feuille blanche et pour s’émanciper de ses influences et trouver sa propre identité. Le contenu des textes doit générer du sens pour l’auteur et pas juste du son. »

Voilà, notre petit tour s’arrête ici. Ma première impression est que, après tous ces échanges, je me sens moins coupable de ne pas m’arrêter plus que ça sur le sens des paroles des chansons.
Des paroles qui, d’après les témoignages, ne sont pas toujours si évidentes à comprendre. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’un écrit, les paroles ne sont pas souvent narratives, en fait, surtout dans le style musical qui nous occupe. Sorry Dalida et Alain.

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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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